Qui sont les chrétiens de Chine ? Le président Xi Jinping n’a pas donné de réponse à cette question mais, à en juger par ses appels à une nécessaire « sinisation » des religions en Chine, les adeptes du Christ en Chine seraient soupçonnés d’être trop chrétiens et pas assez chinois. L’affirmation ne convainc pas vraiment et ce n’est sans doute pas auprès des « politiques » au pouvoir en Chine que pourra être trouvée une réponse à la question posée.
Fruit d’un travail de terrain, un ouvrage paru en français peut apporter quelques éclaircissements utiles à une deuxième question, connexe à la première : Comment peut-on devenir chrétien en Chine aujourd’hui ? Paru au début de cette année 2016 aux Presses universitaires de Rennes, Chrétiens de Chine - Affiliations et conversions au XXIe siècle est l’œuvre de Pierre Vendassi, jeune sociologue, universitaire bordelais actuellement en séjour à Fudan University, à Shanghai.
La recension de Chrétiens de Chine est signée Michel Chambon. Bien connu des lecteurs d’Eglises d’Asie, Michel Chambon est français, doctorant en anthropologie à Boston University (Etats-Unis) ; il revient d’un séjour d’une année en Chine continentale où il a mené des recherches de terrain, notamment au Zhejiang.
Les Chrétiens de Chine, Affiliations et Conversions au XXIe siècle par Pierre Vendassi. Presses Universitaires de Rennes, 2016. 239 pages.
Dans son livre « Les Chrétiens de Chine », l’universitaire bordelais Pierre Vendassi présente les résultats de sa recherche sur les chrétiens chinois. Il étudie depuis une perspective sociologique les Chinois qui se tournent vers une forme ou l’autre du christianisme en vue de mieux comprendre les mécanismes de la conversion religieuse. Son approche ne se limite pas à la question du « pourquoi » mais fait porter son effort sur les mécanismes – les « comment » – qui soutiennent une telle démarche. Les témoignages collectés sont essentiellement des entretiens avec 73 convertis, rencontrés principalement à Shanghai mais aussi à Bordeaux.
A travers ces discours, le lecteur découvre huit communautés chrétiennes de Shanghai – en grande partie des Eglises domestiques (des Eglises-maisons), c’est-à-dire des communautés évangéliques non déclarées auprès des autorités et qui se réunissent de facto plus discrètement. Les six chapitres du livre explicitent progressivement comment la conversion religieuse s’articule autour de trois types de processus : affiliation, conversion et confession. Pierre Vendassi montre qu’il ne s’agit pas de trois étapes successives au cours d’un parcours linéaire mais de trois dynamiques conceptuellement distinctes, réversibles, fluctuantes et pas nécessairement simultanées. Pour lui, la conversion s’alimente de ces trois dynamiques tout en demeurant une quête de sens. Cette approche nous conduit donc loin de l’idée courante de la conversion tel un changement brutal, complet et définitif. L’auteur illustre cela en montrant comment les personnes rencontrées deviennent chrétiennes en apprenant à reconnaitre, sacraliser puis transcender des modèles sociaux non spécifiquement chrétiens, ni radicalement nouveaux, mais déjà présents dans leur environnement. La notion de famille est en cela largement explorée au cours de l’ouvrage.
Ce travail a pour première qualité d’être pionnier parmi les contributions académiques d’envergure en langue française sur le christianisme en Chine. Il est d’une lecture très accessible, même pour les non-sociologues ! Mais surtout, Pierre Vendassi a pour grand mérite de ne pas réduire la « question chrétienne » en Chine à une question politique. Le cœur de sa recherche demeure les personnes engagées dans des processus de conversion. De là, son analyse propose un modèle dynamique de la conversion, qui, en plus de se pencher sur des mécanismes concrets et comparables, montre combien affiliation et conversion peuvent être partielles ou même réversibles car toujours à la conjonction de plusieurs facteurs. Cela tempère un certain nombre de discours qui s’enthousiasme de la forte croissance des Eglises en Chine. Ensuite, les observations récoltées par l’auteur illustrent combien et comment le développement du christianisme en Chine se situe dans un entre-deux, alliant continuité et rupture par rapport au contexte socioreligieux chinois. En présentant les témoignages directs de nombreux convertis, le lecteur entrevoit à quel point ces nouveaux chrétiens ne sont ni dans un strict rejet de leur environnement (politique, religieux et économique), ni dans une simple réincarnation de la religion populaire chinoise.
Une critique que l’on peut faire à l’ouvrage réside dans son titre : l’ouvrage ne traite pas des « Chrétiens en Chine » dans leur ensemble (ce titre trop général vient certainement de l’éditeur), mais d’une population bien particulière : les personnes interrogées ont en effet très majoritairement entre 20 et 40 ans, elles appartiennent bien souvent à la classe moyenne urbaine nouvelle et sont marquées par des phénomènes migratoire importants. De même, l’auteur ne traite pas tout l’éventail du christianisme chinois, mais seulement de la partie qui a grossi le plus fortement ces dernières décennies : les Eglises-maisons urbaines. Bien que ces aspects spécifiques soient mentionnés, on peut s’interroger sur l’influence qu’ils ont sur le sujet traité : la compréhension des conversions au christianisme en Chine.
Il n’en demeure pas moins que la plus grande qualité de l’ouvrage réside dans le positionnement méthodologique et théorique de l’auteur qui invite au débat. Les milieux francophones s’intéressant au christianisme en monde chinois gagneront donc dans la lecture de cette contribution universitaire, et un certain nombre de points ne manqueront pas de stimuler les discussions.
Un premier élément qui interpelle dans le travail de Pierre Vendassi est l’absence du thème de la guérison et de la quête de santé. Cette absence fait contraste avec ce que nous avons pu observer à Shanghai et ailleurs en Chine. Quels que soient les milieux sociaux et les tranches d’âges, les récits de conversion sont très souvent parsemés d’événements de guérison (ne serait-ce que d’un parent ou d’un ami), le tout teinté d’une quête diffuse de bien-être/santé. Cet aspect de la « spiritualité chinoise » est souvent passé sous silence par les observateurs étrangers, au risque d’appauvrir la réflexion. Même si les personnes rencontrées par Pierre Vendassi peuvent très bien ne pas être concernées par ce point, il nous semble important de ne pas en économiser néanmoins l’importance lorsqu’il en vient aux processus de conversion en Chine. La compréhension du christianisme chinois gagnerait à réfléchir à l’importance de la guérison et du bien-être corporel.
Une autre particularité de l’ouvrage est qu’il accorde une large part aux témoignages de personnes chinoises affiliées à l’Eglise mormone – Eglise à laquelle est affilié l’auteur lui-même. Cette quasi-exploration du mormonisme en Chine est une première, mais n’est pas aboutie. Tout d’abord, alors même que Pierre Vendassi rappelle que, dans la galaxie chrétienne, cette Eglise demeure une tradition controversée, il est regrettable qu’il n’explicite pas plus les raisons motivant la large place accordée à ces témoignages (parmi les 73 personnes interviewées, 19 sont mormones et leurs témoignages reviennent de manière récurrente). Les mormons chinois mériteraient certainement une étude à part entière !
Par ailleurs, le coté dérangeant de l’Eglise mormone – du moment qu’il est reconnu – pourrait aider les catholiques réfléchissant sur le christianisme en Chine à élargir leur champ d’observation et à questionner leurs propres catégories. En Chine (comme aux Etats-Unis, en Afrique et en Amérique latine aujourd’hui), les groupes se revendiquant chrétiens mais pourtant « étranges » et « controversés » sont très nombreux (Eglise du Dieu Tout-Puissant, Eglise Locale, Eglise du Dieu Etabli, Eglise de la Porte Etroite dans le Monde Sauvage, Les Servants des Trois Niveaux, etc.). Ces groupes ont souvent en commun avec l’Eglise mormone de transformer le canon des Ecritures Saintes et la compréhension de la Trinité – tout en gardant l’événement Jésus Christ dans leur foi. Face à de tels phénomènes, la binarité conceptuelle « Œcuménisme » et « Dialogue Interreligieux » se révèle un peu faible. Depuis Vatican II en effet, beaucoup de catholiques veulent croire que le monde religieux non catholique se divise en deux catégories : ceux qui connaissent la Révélation chrétienne (orthodoxes, protestants, anglicans, orientaux, etc.) et avec qui nous faisons du dialogue « œcuménique », et ceux qui ne connaissent pas la Révélation chrétienne (bouddhistes, juifs, musulmans, etc.) et avec qui nous faisons du dialogue « interreligieux ». Force est pourtant de constater que le monde non catholique est plus riche et subtil que cela, stimulant sans cesse notre propre réflexion. L’interpellation de la Révélation chrétienne au monde chinois produit en fait une myriade d’Eglises et de mouvements religieux. Ceux-ci peuvent devenir une invitation à approfondir notre propre compréhension de l’action des Semences du Verbe dans l’humanité, à condition que nous daignons les nommer et les reconnaître.
Une dernière question que suscite pour nous la lecture du travail de Pierre Vendassi a trait au concept de famille, tel qu’il revient de manière récurrente dans son livre. L’auteur affirme – non sans une certaine justesse – que la matrice idéologique chrétienne idéalise dans l’ordre religieux une structure de parenté patriarcale (p. 133). Quand bien même le débat mérite d’être ouvert, et notamment en Chine où les catholiques soutiendront très majoritairement une telle affirmation, nous considérons que la théologie catholique la plus officielle est différente. Dans son encyclique Amoris Laetitia, le pape ne parle ni de « famille naturelle » ni de « sainte famille » pour expliciter les fondements de la vision chrétienne de la famille. Le pape, en communion avec les évêques de l’Eglise universelle qui se réunirent en deux temps pour un synode sur la question, s’appuie au contraire sur le cœur de la Révélation chrétienne, la Trinité, pour expliciter pourquoi et comment la famille chrétienne repose sur l’altérité d’un couple, homme et femme, ouvert sur la venue d’un autre : les enfants en croissance. La matrice idéologique chrétienne repose donc dans la notion d’alliance – reflet de la communion trinitaire – (et non sur la notion de lignage) pour définir ce qu’est une famille. Ainsi, s’il est clair que la quête de parenté patriarcale se retrouve dans beaucoup de communautés chrétiennes chinoises, il n’est pas juste de la mettre en correspondance avec une matrice chrétienne. Si Pierre Vendassi a raison de pointer comment le christianisme est bien souvent utilisé pour revivifier une certaine tradition chinoise de parenté patriarcale, son analyse gagnerait à montrer plus finement comment « la matrice chrétienne » questionne et transforme simultanément ce modèle social – ne serait-ce que sur des points tels que l’injonction à la monogamie et l’interdiction du divorce.
(Source:Eglises d'Asie, le 6 septembre 2016)
Fruit d’un travail de terrain, un ouvrage paru en français peut apporter quelques éclaircissements utiles à une deuxième question, connexe à la première : Comment peut-on devenir chrétien en Chine aujourd’hui ? Paru au début de cette année 2016 aux Presses universitaires de Rennes, Chrétiens de Chine - Affiliations et conversions au XXIe siècle est l’œuvre de Pierre Vendassi, jeune sociologue, universitaire bordelais actuellement en séjour à Fudan University, à Shanghai.
La recension de Chrétiens de Chine est signée Michel Chambon. Bien connu des lecteurs d’Eglises d’Asie, Michel Chambon est français, doctorant en anthropologie à Boston University (Etats-Unis) ; il revient d’un séjour d’une année en Chine continentale où il a mené des recherches de terrain, notamment au Zhejiang.
Les Chrétiens de Chine, Affiliations et Conversions au XXIe siècle par Pierre Vendassi. Presses Universitaires de Rennes, 2016. 239 pages.
Dans son livre « Les Chrétiens de Chine », l’universitaire bordelais Pierre Vendassi présente les résultats de sa recherche sur les chrétiens chinois. Il étudie depuis une perspective sociologique les Chinois qui se tournent vers une forme ou l’autre du christianisme en vue de mieux comprendre les mécanismes de la conversion religieuse. Son approche ne se limite pas à la question du « pourquoi » mais fait porter son effort sur les mécanismes – les « comment » – qui soutiennent une telle démarche. Les témoignages collectés sont essentiellement des entretiens avec 73 convertis, rencontrés principalement à Shanghai mais aussi à Bordeaux.
A travers ces discours, le lecteur découvre huit communautés chrétiennes de Shanghai – en grande partie des Eglises domestiques (des Eglises-maisons), c’est-à-dire des communautés évangéliques non déclarées auprès des autorités et qui se réunissent de facto plus discrètement. Les six chapitres du livre explicitent progressivement comment la conversion religieuse s’articule autour de trois types de processus : affiliation, conversion et confession. Pierre Vendassi montre qu’il ne s’agit pas de trois étapes successives au cours d’un parcours linéaire mais de trois dynamiques conceptuellement distinctes, réversibles, fluctuantes et pas nécessairement simultanées. Pour lui, la conversion s’alimente de ces trois dynamiques tout en demeurant une quête de sens. Cette approche nous conduit donc loin de l’idée courante de la conversion tel un changement brutal, complet et définitif. L’auteur illustre cela en montrant comment les personnes rencontrées deviennent chrétiennes en apprenant à reconnaitre, sacraliser puis transcender des modèles sociaux non spécifiquement chrétiens, ni radicalement nouveaux, mais déjà présents dans leur environnement. La notion de famille est en cela largement explorée au cours de l’ouvrage.
Ce travail a pour première qualité d’être pionnier parmi les contributions académiques d’envergure en langue française sur le christianisme en Chine. Il est d’une lecture très accessible, même pour les non-sociologues ! Mais surtout, Pierre Vendassi a pour grand mérite de ne pas réduire la « question chrétienne » en Chine à une question politique. Le cœur de sa recherche demeure les personnes engagées dans des processus de conversion. De là, son analyse propose un modèle dynamique de la conversion, qui, en plus de se pencher sur des mécanismes concrets et comparables, montre combien affiliation et conversion peuvent être partielles ou même réversibles car toujours à la conjonction de plusieurs facteurs. Cela tempère un certain nombre de discours qui s’enthousiasme de la forte croissance des Eglises en Chine. Ensuite, les observations récoltées par l’auteur illustrent combien et comment le développement du christianisme en Chine se situe dans un entre-deux, alliant continuité et rupture par rapport au contexte socioreligieux chinois. En présentant les témoignages directs de nombreux convertis, le lecteur entrevoit à quel point ces nouveaux chrétiens ne sont ni dans un strict rejet de leur environnement (politique, religieux et économique), ni dans une simple réincarnation de la religion populaire chinoise.
Une critique que l’on peut faire à l’ouvrage réside dans son titre : l’ouvrage ne traite pas des « Chrétiens en Chine » dans leur ensemble (ce titre trop général vient certainement de l’éditeur), mais d’une population bien particulière : les personnes interrogées ont en effet très majoritairement entre 20 et 40 ans, elles appartiennent bien souvent à la classe moyenne urbaine nouvelle et sont marquées par des phénomènes migratoire importants. De même, l’auteur ne traite pas tout l’éventail du christianisme chinois, mais seulement de la partie qui a grossi le plus fortement ces dernières décennies : les Eglises-maisons urbaines. Bien que ces aspects spécifiques soient mentionnés, on peut s’interroger sur l’influence qu’ils ont sur le sujet traité : la compréhension des conversions au christianisme en Chine.
Il n’en demeure pas moins que la plus grande qualité de l’ouvrage réside dans le positionnement méthodologique et théorique de l’auteur qui invite au débat. Les milieux francophones s’intéressant au christianisme en monde chinois gagneront donc dans la lecture de cette contribution universitaire, et un certain nombre de points ne manqueront pas de stimuler les discussions.
Un premier élément qui interpelle dans le travail de Pierre Vendassi est l’absence du thème de la guérison et de la quête de santé. Cette absence fait contraste avec ce que nous avons pu observer à Shanghai et ailleurs en Chine. Quels que soient les milieux sociaux et les tranches d’âges, les récits de conversion sont très souvent parsemés d’événements de guérison (ne serait-ce que d’un parent ou d’un ami), le tout teinté d’une quête diffuse de bien-être/santé. Cet aspect de la « spiritualité chinoise » est souvent passé sous silence par les observateurs étrangers, au risque d’appauvrir la réflexion. Même si les personnes rencontrées par Pierre Vendassi peuvent très bien ne pas être concernées par ce point, il nous semble important de ne pas en économiser néanmoins l’importance lorsqu’il en vient aux processus de conversion en Chine. La compréhension du christianisme chinois gagnerait à réfléchir à l’importance de la guérison et du bien-être corporel.
Une autre particularité de l’ouvrage est qu’il accorde une large part aux témoignages de personnes chinoises affiliées à l’Eglise mormone – Eglise à laquelle est affilié l’auteur lui-même. Cette quasi-exploration du mormonisme en Chine est une première, mais n’est pas aboutie. Tout d’abord, alors même que Pierre Vendassi rappelle que, dans la galaxie chrétienne, cette Eglise demeure une tradition controversée, il est regrettable qu’il n’explicite pas plus les raisons motivant la large place accordée à ces témoignages (parmi les 73 personnes interviewées, 19 sont mormones et leurs témoignages reviennent de manière récurrente). Les mormons chinois mériteraient certainement une étude à part entière !
Par ailleurs, le coté dérangeant de l’Eglise mormone – du moment qu’il est reconnu – pourrait aider les catholiques réfléchissant sur le christianisme en Chine à élargir leur champ d’observation et à questionner leurs propres catégories. En Chine (comme aux Etats-Unis, en Afrique et en Amérique latine aujourd’hui), les groupes se revendiquant chrétiens mais pourtant « étranges » et « controversés » sont très nombreux (Eglise du Dieu Tout-Puissant, Eglise Locale, Eglise du Dieu Etabli, Eglise de la Porte Etroite dans le Monde Sauvage, Les Servants des Trois Niveaux, etc.). Ces groupes ont souvent en commun avec l’Eglise mormone de transformer le canon des Ecritures Saintes et la compréhension de la Trinité – tout en gardant l’événement Jésus Christ dans leur foi. Face à de tels phénomènes, la binarité conceptuelle « Œcuménisme » et « Dialogue Interreligieux » se révèle un peu faible. Depuis Vatican II en effet, beaucoup de catholiques veulent croire que le monde religieux non catholique se divise en deux catégories : ceux qui connaissent la Révélation chrétienne (orthodoxes, protestants, anglicans, orientaux, etc.) et avec qui nous faisons du dialogue « œcuménique », et ceux qui ne connaissent pas la Révélation chrétienne (bouddhistes, juifs, musulmans, etc.) et avec qui nous faisons du dialogue « interreligieux ». Force est pourtant de constater que le monde non catholique est plus riche et subtil que cela, stimulant sans cesse notre propre réflexion. L’interpellation de la Révélation chrétienne au monde chinois produit en fait une myriade d’Eglises et de mouvements religieux. Ceux-ci peuvent devenir une invitation à approfondir notre propre compréhension de l’action des Semences du Verbe dans l’humanité, à condition que nous daignons les nommer et les reconnaître.
Une dernière question que suscite pour nous la lecture du travail de Pierre Vendassi a trait au concept de famille, tel qu’il revient de manière récurrente dans son livre. L’auteur affirme – non sans une certaine justesse – que la matrice idéologique chrétienne idéalise dans l’ordre religieux une structure de parenté patriarcale (p. 133). Quand bien même le débat mérite d’être ouvert, et notamment en Chine où les catholiques soutiendront très majoritairement une telle affirmation, nous considérons que la théologie catholique la plus officielle est différente. Dans son encyclique Amoris Laetitia, le pape ne parle ni de « famille naturelle » ni de « sainte famille » pour expliciter les fondements de la vision chrétienne de la famille. Le pape, en communion avec les évêques de l’Eglise universelle qui se réunirent en deux temps pour un synode sur la question, s’appuie au contraire sur le cœur de la Révélation chrétienne, la Trinité, pour expliciter pourquoi et comment la famille chrétienne repose sur l’altérité d’un couple, homme et femme, ouvert sur la venue d’un autre : les enfants en croissance. La matrice idéologique chrétienne repose donc dans la notion d’alliance – reflet de la communion trinitaire – (et non sur la notion de lignage) pour définir ce qu’est une famille. Ainsi, s’il est clair que la quête de parenté patriarcale se retrouve dans beaucoup de communautés chrétiennes chinoises, il n’est pas juste de la mettre en correspondance avec une matrice chrétienne. Si Pierre Vendassi a raison de pointer comment le christianisme est bien souvent utilisé pour revivifier une certaine tradition chinoise de parenté patriarcale, son analyse gagnerait à montrer plus finement comment « la matrice chrétienne » questionne et transforme simultanément ce modèle social – ne serait-ce que sur des points tels que l’injonction à la monogamie et l’interdiction du divorce.
(Source:Eglises d'Asie, le 6 septembre 2016)