Le rythme des rencontres entre les négociateurs chinois et leurs pairs du Saint-Siège s’accélère, et la possibilité de voir un accord conclu entre Pékin et Rome paraît bien réelle. Différentes personnalités de l’Eglise, tel l’évêque de Hongkong, le cardinal John Tong Hon, ou son prédécesseur, le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, ont exprimé leur point de vue. Afin de faire le point sur ce dossier, Eglises d’Asie vous propose l’interview exclusive d’un missionnaire très au fait des relations entre la Chine populaire et l’Eglise catholique. Le P. Bruno Lepeu est responsable de la Chine au sein de la Société des Missions Etrangères de Paris (MEP) et il est chercheur au Centre d’Etudes du Saint-Esprit, du diocèse de Hongkong, centre chargé de suivre les questions de l’Eglise en Chine. Il répond ici aux questions d’Eglises d’Asie depuis Hongkong, où il vit depuis 1994.
Eglises d’Asie : Des pourparlers ont lieu entre Pékin et Rome. Ils pourraient déboucher sur une normalisation de la situation de l’Eglise catholique qui est en Chine. Que recouvre cette notion de « normalisation » ?
P. Bruno Lepeu : On est encore loin de l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et le Vatican. Si le Saint-Siège attend ce moment avec impatience, la Chine ne se montre pas pressée comme le rappelle un article du Global Times (quotidien considéré comme reflétant la ligne du Parti) du 29 août 2016 : « La Chine n’est pas tellement impatiente d’établir des relations formelles avec le Vatican, parce que ce n’est pas une question urgente qui pourrait porter préjudice au statut international du pays si elle n’est pas résolue immédiatement. »
Depuis juin 2014, les délégations du Saint-Siège et de la Chine se sont réunies au moins six fois pour trouver des solutions à la situation complexe et « anormale » de l’Eglise en Chine. Rien n’a filtré officiellement de ces pourparlers, mais il semble que l’essentiel des discussions a porté sur la question de la nomination des évêques. Beaucoup d’autres situations « anormales » doivent être aussi réglées pour pouvoir parler d’une véritable « normalisation ». On peut citer ici la situation des quelques évêques en prison, celles des évêques illégitimes (i.e. consacrés sans l’accord du pape), la place de l’Association patriotique et des autres instances voulues par le gouvernement pour contrôler l’Eglise, la composition de la Conférence épiscopale, la carte des diocèses, la reconnaissance légale des communautés clandestines, etc. Tout autant de dossiers épineux qui ne peuvent être résolus à la va-vite.
Quels sont les objectifs poursuivis par Rome ?
L’objectif du Saint-Siège est de faciliter la vie normale de l’Eglise en Chine et, depuis près de vingt ans, plusieurs tentatives de dialogue ont été poursuivies mais elles n’ont pas abouti. Les déclarations récentes du cardinal Parolin, secrétaire d’Etat, laissent entendre que les négociations en cours sont plus prometteuses. Le 27 août dernier, il déclarait : « Les nouvelles et bonnes relations que nous souhaitons établir avec la Chine – y compris des relations diplomatiques, si Dieu le veut ! – ne sont pas une fin en soi ou un désir de parvenir à qui sait quel succès ‘mondain’, mais elles sont pensées et poursuivies uniquement dans la mesure où elles sont ‘utiles’, je le répète, au bien des catholiques chinois, au bien de tout le peuple chinois et à l’harmonie de la société tout entière, en faveur de la paix mondiale. » Il précisait que l’objectif primordial de ces négociations était la communion au sein de l’Eglise et la réconciliation entre les communautés clandestines et officielles : « Ce que souhaite le Saint-Siège, c’est de voir, dans un avenir qui ne soit pas lointain, ces deux communautés se réconcilier, s’accueillir mutuellement, donner et recevoir la miséricorde en vue d’une annonce commune de l’Evangile qui soit véritablement crédible. » Cet objectif, que l’on pourrait qualifier de pastoral, se concrétise autour du choix et de la nomination d’évêques ayant les aptitudes requises pour être les pasteurs de cette Eglise locale.
Du côté chinois, on constate, sous la présidence de Xi Jinping, un durcissement généralisé du régime vis-à-vis de la société civile, et notamment des religions. Comment expliquer que Pékin semble souhaiter un accord avec le Saint-Siège ?
Il est très difficile de connaître les véritables motivations du gouvernement de Pékin et de prévoir l’issue des négociations, comme nous l’enseigne l’histoire récente. Par exemple, en 1999, l’espoir était au beau fixe tant à Rome que sur le terrain en Chine, mais les ordinations illégitimes de cinq évêques le 6 janvier 2000 ont totalement bloqué les négociations en cours. Une explication assez plausible est qu’à l’époque, le ministère des Affaires étrangères voulait obtenir un accord diplomatique, mais que les responsables des Affaires religieuses ne souhaitaient pas perdre le contrôle de l’Eglise. Une interprétation plus machiavélique suggère que le gouvernement chinois n’avait pas l’intention de parvenir à un accord avec le Saint-Siège, mais qu’il a profité des négociations en cours pour imposer plus de contrôle sur l’Eglise locale, en particulier sur la question du regroupement des diocèses. Cet enseignement de l’histoire appelle à la prudence pour bien comprendre ce qui se trame dans la complexité non transparente du gouvernement chinois.
Le 29 août, Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a commenté de la manière suivante les déclarations du cardinal Parolin : « La Chine a toujours la volonté sincère d’améliorer ses relations avec le Vatican et y a travaillé sans relâche. Les canaux de contact et de dialogue entre les deux parties sont ouverts et efficaces. Nous entendons travailler ensemble avec le Vatican dans le même sens selon les principes concernés et poursuivre le dialogue constructif pour faire avancer sans cesse le processus d’amélioration des relations entre les deux pays. »
Si ces déclarations du ministère des Affaires étrangères sont encourageantes, les faits sur le terrain le sont moins. On peut citer l’ordination dans le Yunnan de neuf nouveaux prêtres par Mgr Ma Yinglin, évêque illégitime, le 24 mai dernier ; la volte-face de Mgr Ma Daqin, évêque auxiliaire de Shanghai, avec une déclaration dithyrambique sur les bienfaits de l’Association patriotique ; la mise à l’écart de Mgr Shao Zhumin de la succession épiscopale du diocèse de Wenzhou ; la préparation de la IXe Assemblée nationale des représentants catholiques, qui doit « élire » les nouveaux responsables de la Conférence épiscopale officielle. En cette période de négociations, on imaginerait de la part de Pékin plus de signes positifs pour montrer sa « volonté sincère d’améliorer les relations avec le Vatican ».
D’autres arguments peuvent justifier le désir de Pékin d’arriver à un accord avec le Saint-Siège. D’abord la figure du pape François. Son élection la veille de celle du président chinois, Xi Jinping ; ses mains tendues vers la Chine ; ses positions sur la scène internationale (en particulier dans le dossier de Cuba) ; sa stature internationale (la visite du pape François aux Etats-Unis a bénéficié d’une couverture médiatique beaucoup plus importante que celle du président Xi quelques jours plus tard…). Tout cela donne une bonne image de François en Chine. La situation de l’Eglise en Chine peut aussi pousser Pékin à se rapprocher du Saint-Siège. Les structures officielles mises en place par le gouvernement ne bénéficient pas du soutien de la plupart des catholiques, les évêques illégitimes, voire excommuniés, mis aux commandes de l’ensemble n’ont aucune crédibilité, à commencer par le diocèse dans lequel ils sévissent. On peut se demander si Pékin ne souhaite pas utiliser le Saint-Siège pour affermir son contrôle sur l’ensemble des communautés catholiques, officielles comme clandestines. En termes de politique internationale, on peut aussi envisager que Pékin souhaite inclure une amélioration des relations avec le Vatican dans sa stratégie de soft power afin d’amadouer l’opinion publique internationale. Mais à l’heure où les indices des droits de l’homme en Chine, y compris des libertés religieuses, sont dans le rouge, est-ce que le Saint-Siège ne risque pas de donner l’impression de cautionner un tel régime ?
Dans de telles conditions, quelles peuvent être les bases d’un tel accord ? Qu’est-ce qui est négociable, qu’est-ce qui ne l’est pas ?
« Négocier avec le tigre sa peau » : ce proverbe chinois rappelle qu’il est dangereux et voué à l’échec de négocier avec son adversaire sur des domaines qu’il ne peut pas abandonner. Le gouvernement chinois et le Saint-Siège ont de part et d’autres des principes non négociables qu’il est important de rappeler.
La politique religieuse de la Chine concerne l’ensemble des cinq religions reconnues par le gouvernement (bouddhisme, taoïsme, islam, catholicisme, protestantisme), et elle ne peut pas accorder à une religion des privilèges auxquelles les autres n’auraient pas droit. Cette politique religieuse est fondée sur quelques principes sans cesse rappelés et qui sont désormais inscrits dans la nouvelle loi sur la Sécurité nationale promulguée le 1er juillet 2015. L’article 27 (alinéa 84) concernant les religions, stipule : « Selon la loi, le pays protège la liberté de croire des citoyens et la participation aux activités religieuses normales. Il maintient le principe de l’indépendance et de l’autonomie de gouvernement des religions. » En avril dernier, lors d’une réunion au sommet sur la politique religieuse du Parti, le président Xi a promis de maintenir ce principe général d’indépendance des religions et a rappelé que l’œuvre de sinisation des religions devait être poursuivie afin que le pays soit préservé de toute « infiltration venue de l’étranger ». La « sinisation » chère à Xi Jinping n’a rien à voir avec la notion théologique d’inculturation de la foi : il s’agit bel et bien d’une adhésion des religions à la politique du Parti communiste, pour en faire des religions « à caractéristiques chinoises ». Voilà ce qui est non-négociable du côté de la Chine.
Du côté de l’Eglise, la foi en l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique est inscrite dans le Credo, et la dimension apostolique de l’Eglise se construit sur la figure des évêques, en communion avec le successeur de Pierre. Ainsi, comme le rappelait Benoit XVI dans sa Lettre aux catholiques de Chine de 2007 : « Considérant ‘le dessein originel de Jésus’, il apparaît évident que la prétention de certains organismes, voulus par l’Etat et étrangers à la structure de l’Eglise, de se placer au-dessus des Evêques eux-mêmes et de guider la vie de la communauté ecclésiale ne correspond pas à la doctrine catholique. La finalité déclarée desdits organismes de mettre en œuvre « les principes d’indépendance et d’autonomie, d’autogestion et d’administration démocratique de l’Eglise » est inconciliable avec la doctrine catholique. » (point 7). Ainsi ce qui est non négociable pour l’Eglise recouvre de manière opposée ce qui est non négociable pour Pékin ; c’est ce qui rend les pourparlers bien difficiles.
Une fois qu’est défini clairement ce qui n’est pas négociable pour chacune des parties en présence, on peut envisager ce qui peut être négocié. Le cardinal Parolin rappelait une récente homélie du pape François à Sainte-Marthe, le 9 juin 2016, qui disait : « Il faut vivre ‘la toute petite sainteté de la négociation’, c’est-à-dire le ‘sain réalisme’ que l’Eglise nous enseigne : il s’agit donc de refuser la logique du ‘tout ou rien’ et d’emprunter la voie du ‘possible’ pour se réconcilier avec les autres. » Il semble que, lors des dernières rencontres entre les délégations de Pékin et du Vatican, ont justement été discutés les cas précis d’évêques pour lesquels les deux parties ont cherché des solutions acceptables pour tous, afin de permettre ainsi aux négociateurs de réaliser de réelles avancées sur des dossiers concrets, sans avoir à « négocier sa peau avec le tigre ». Cela se traduirait précisément par un pardon pour les huit évêques illégitimes, ce qui est considéré par le Saint-Siège comme un geste symbolique fort envers la Chine lors de cette année de la Miséricorde.
Pouvez-vous nous expliquer la situation de ces évêques illégitimes ?
Ces huit évêques sont illégitimes car ordonnés sans l’accord du Saint Père. Ces ordinations épiscopales sans mandat pontifical « rompent la communion avec le pontife romain et violent de manière grave la discipline ecclésiastique » (Déclaration du Conseil pontifical pour les textes législatifs du 6 juin 2011, précisant la juste application du canon 1382). Depuis 2011, pour tous les nouveaux cas d’ordination épiscopale sans mandat pontifical, le Saint-Siège a déclaré l’excommunication « latae sententiae » (i.e. automatiquement encourue par l’acte posé). Ainsi pour les trois derniers évêques illégitimes, l’excommunication a été déclarée. Comme le rappelait à l’époque le P. Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, « la finalité de ces peines est toujours de conduire au repentir et à la réconciliation. Une personne qui se repent sincèrement a le droit d’être absoute, même d’une excommunication ». L’Eglise dans sa miséricorde se doit d’accueillir les fils prodigues qui font l’effort de revenir à la maison du père. Mais comme le rappelait Mgr Wei Jingyi, évêque « clandestin » de Qiqihar, dans une récente interview à Vatican Insider, il faut que celui qui quitte les cochons et sa vie misérable, n’y retourne pas aussi vite après avoir été pardonné. De même, on peut ajouter qu’il faut que ce fils ait vraiment quitté ses cochons pour qu’il y ait conversion et accueil possible par le père. Il est encore plus inimaginable que le fils en question réclame de son père d’approuver sa vie dissolue et de lui donner sa bénédiction.
Si le Saint Père accueille le repentir de ces huit évêques illégitimes et juge opportun de les absoudre, feront-ils une déclaration publique de leur repentir comme dans la parabole du fils prodigue, mais aussi comme dans le cas des précédents évêques illégitimes pardonnés ? Et que deviendront-ils ensuite ? Pour les Chinois, que l’on sait pragmatiques et habitués à la dichotomie entre la légalité et la réalité, un tel pardon sera facilement compris comme un « retour à la normale ». Mais pour ces évêques, être pardonnés est une grâce pour leur vie spirituelle, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils obtiennent automatiquement juridiction sur les diocèses que le gouvernement leur avait confiés, d’autant que chacun de ces huit cas est particulier. Mgr Tu Shihua, ordonné illicitement en 1958 est officiellement évêque de Puqi (Hubei) ; il a désormais 97 ans et réside en permanence à Pékin. Il peut être facilement considéré comme étant à la retraite. Pour deux évêques, il est de notoriété publique qu’ils ont femmes et enfants : ils sont donc dans l’incapacité d’exercer le ministère épiscopal. Pour deux autres encore, il y a déjà un évêque titulaire pour les diocèses en question : il n’est pas envisageable de destituer ces derniers pour y mettre les évêques « nouvellement pardonnés » ; une solution serait de nommer ces derniers dans un autre diocèse vacant. Pour les trois autres cas, la nomination des évêques concernés ne devrait pas poser trop de problèmes canoniques (à condition qu’ils aient les aptitudes requises sur le plan moral). Il semble que l’un d’entre eux ait des velléités de démissionner, n’ayant plus aucune autorité au sein de l’Eglise locale.
Certains au sein de l’Eglise universelle (c’est le cas du cardinal Zen à Hongkong, par exemple), mettent en garde contre le risque de conclure maintenant un accord avec Pékin. D’autres, dont le milieu des vaticanistes romains se fait l’écho, insistent sur les bienfaits potentiels d’un tel accord. Y a-t-il des tensions au sein de l’Eglise ? Comment un tel éventuel accord peut-il être reçu par l’Eglise qui en Chine, notamment par sa partie « clandestine » ?
Depuis les années 1950, beaucoup de chrétiens (aussi bien dans le clergé que parmi les fidèles) ont souffert des persécutions directes ou indirectes du gouvernement. Les divisions sont souvent profondes et le manque de confiance dans le gouvernement très généralisé. Il n’est donc pas facile de faire croire à tous ces chrétiens chinois que le gouvernement chinois est sincère dans sa volonté de passer un accord avec le Saint-Siège. Le temps prouvera qui des optimistes ou des pessimistes a raison.
Comme le rappelaient aussi bien le cardinal Tong Hon dans son long article du 31 juillet dernier sur « la Communion de l’Eglise en Chine avec l’Eglise universelle », que Mgr Wei Jingyi dans l’interview accordée à Vatican Insider fin août, le pape François, « en tant que protecteur de l’unité et de la communion de l’Eglise universelle », n’acceptera pas un texte qui nuirait à l’intégrité de la foi ou à la communion de l’Eglise. Le cardinal Parolin a aussi rappelé que l’objectif d’un tel accord était « de trouver des solutions réalistes pour le bien de tous ». Mais dans la plupart des réactions en provenance de Chine, qui ont suivi l’article du cardinal Tong, le ton était beaucoup moins optimiste, les catholiques chinois craignant que le Saint-Siège se laisse « volontairement prendre à l’hameçon » (proverbe chinois correspondant à « mettre sa tête sur le billot »).
Quelles sont les conditions pour qu’un éventuel accord puisse aboutir et porter des fruits ?
Compte-tenu de la complexité de la situation, des précédents échecs des négociations, de la difficulté pour les Occidentaux en charge du dossier au Vatican (le seul responsable chinois, Mgr Savio Hon Tai-fai, a été transféré, le 6 juin dernier, sur l’île de Guam comme administrateur apostolique) de comprendre la mentalité chinoise et les subtilités du régime communiste…, il est essentiel de consulter très largement afin d’envisager toutes les hypothèses possibles. Des responsables de l’Eglise en Chine sont les plus à même de porter un tel discernement, mais il n’est pas sûr que, du côté de Rome comme de Pékin, ils aient été consultés. De son côté, le cardinal Zen se plaint que les canaux habituels de dialogue ont été fermés (par exemple la Commission vaticane pour l’Eglise en Chine n’a plus été réunie depuis l’élection du pape François). Il faut espérer que d’autres ont été ouverts. Le dialogue avec les autorités chinoises que recherche ardemment le Saint-Siège doit être favorisé avec la même ardeur au sein des différents cercles de l’Eglise en Chine.
Une visite du pape François en Chine vous paraît-elle envisageable ?
Comme il l’a rappelé dans l’avion qui le ramenait de Mexico, le 18 janvier dernier, le pape en rêve : « Aller en Chine, aller là-bas… cela me plairait tellement ! » et tout le monde le sait, y compris le gouvernement chinois, qui peut en jouer. Si tous les catholiques chinois rêvent d’accueillir le pape sur le sol de Chine, ils sont bien conscients que cela ne peut pas se faire à n’importe quel prix. Même si François nous a habitué à des surprises qui bousculaient des situations très compliquées, il y a encore beaucoup de questions difficiles à résoudre avant que le Saint Père puisse se rendre en Chine. Les récentes interventions fortement médiatisées de hauts dignitaires de l’Eglise (aussi bien le cardinal Parolin que le cardinal Tong) et l’échéance de la fin de l’année de la Miséricorde au cours de laquelle le Saint-Siège voudrait poser un geste symboliquement fort en faveur de la Chine, laissent supposer à l’aboutissement prochain d’un accord au moins partiel entre le Vatican et la Chine. Reste à voir quel en sera le contenu et les résultats. D’autres étapes suivront peut-être qui permettront au pape de se rendre en Chine.
Un test intéressant pour vérifier la bonne volonté des autorités chinoises sera de voir comment elles vont régler le cas de la succession du diocèse de Wenzhou (Zhejiang) et si elles vont convoquer la IXe Assemblée nationale des représentants catholiques.
En 2007, afin de favoriser l’unité entre les communautés « officielle » et « clandestine », Rome avait nommé évêque de Wenzhou Mgr Zhu Weifang, avec comme évêque coadjuteur le jeune Mgr Shao Zhumin. Mgr Zhu était issu de la communauté officielle et Mgr Shao de la communauté clandestine. Il était entendu qu’au décès de Mgr Zhu, Mgr Shao prendrait la tête de l’ensemble du diocèse de Wenzhou. Pendant toutes ces années, les deux communautés se sont de fait fortement rapprochées. Le 7 septembre dernier, Mgr Zhu est décédé à l’âge de 89 ans, Mgr Shao est donc devenu automatiquement le nouvel évêque titulaire de Wenzhou. Mais non seulement le gouvernement a emmené en voyage forcé Mgr Shao et quelques-uns de ses proches collaborateurs, mais les prêtres de la communauté clandestine n’ont pas été autorisés à participer aux obsèques de Mgr Zhu, le 13 septembre. Depuis, Mgr Shao est à nouveau libre, mais il n’est pas encore rentré dans son diocèse et le gouvernement a nommé un prêtre officiel, le P. Ma Xianshi, à la tête du diocèse de Wenzhou. On semble donc loin de la réconciliation espérée par le Saint Père, et présentée par le cardinal Parolin comme l’objectif fondamental des négociations en cours.
La convocation de la IXe Assemblée nationale des représentants catholiques est pressentie pour la fin de l’année 2016. En 2010, lors de la convocation de la VIIIe Assemblée, le Saint-Siège avait protesté « avec une profonde douleur » et condamné un « acte inacceptable et hostile » imposé à de nombreux évêques et prêtres contre leur conscience. Dans le climat actuel de négociations avec le Saint-Siège, Pékin va-t-il convoquer cette assemblée comme les bruits qui remontent du terrain le laissent entendre ? Le Saint-Siège va-t-il protester avec la même véhémence qu’en 2010 contre une telle assemblée et les principes d’indépendance et d’autonomie qu’elle véhicule ? Les prochaines semaines le diront.
(Source: Eglises d'Asie, le 20 septembre 2016 )
Eglises d’Asie : Des pourparlers ont lieu entre Pékin et Rome. Ils pourraient déboucher sur une normalisation de la situation de l’Eglise catholique qui est en Chine. Que recouvre cette notion de « normalisation » ?
P. Bruno Lepeu : On est encore loin de l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et le Vatican. Si le Saint-Siège attend ce moment avec impatience, la Chine ne se montre pas pressée comme le rappelle un article du Global Times (quotidien considéré comme reflétant la ligne du Parti) du 29 août 2016 : « La Chine n’est pas tellement impatiente d’établir des relations formelles avec le Vatican, parce que ce n’est pas une question urgente qui pourrait porter préjudice au statut international du pays si elle n’est pas résolue immédiatement. »
Depuis juin 2014, les délégations du Saint-Siège et de la Chine se sont réunies au moins six fois pour trouver des solutions à la situation complexe et « anormale » de l’Eglise en Chine. Rien n’a filtré officiellement de ces pourparlers, mais il semble que l’essentiel des discussions a porté sur la question de la nomination des évêques. Beaucoup d’autres situations « anormales » doivent être aussi réglées pour pouvoir parler d’une véritable « normalisation ». On peut citer ici la situation des quelques évêques en prison, celles des évêques illégitimes (i.e. consacrés sans l’accord du pape), la place de l’Association patriotique et des autres instances voulues par le gouvernement pour contrôler l’Eglise, la composition de la Conférence épiscopale, la carte des diocèses, la reconnaissance légale des communautés clandestines, etc. Tout autant de dossiers épineux qui ne peuvent être résolus à la va-vite.
Quels sont les objectifs poursuivis par Rome ?
L’objectif du Saint-Siège est de faciliter la vie normale de l’Eglise en Chine et, depuis près de vingt ans, plusieurs tentatives de dialogue ont été poursuivies mais elles n’ont pas abouti. Les déclarations récentes du cardinal Parolin, secrétaire d’Etat, laissent entendre que les négociations en cours sont plus prometteuses. Le 27 août dernier, il déclarait : « Les nouvelles et bonnes relations que nous souhaitons établir avec la Chine – y compris des relations diplomatiques, si Dieu le veut ! – ne sont pas une fin en soi ou un désir de parvenir à qui sait quel succès ‘mondain’, mais elles sont pensées et poursuivies uniquement dans la mesure où elles sont ‘utiles’, je le répète, au bien des catholiques chinois, au bien de tout le peuple chinois et à l’harmonie de la société tout entière, en faveur de la paix mondiale. » Il précisait que l’objectif primordial de ces négociations était la communion au sein de l’Eglise et la réconciliation entre les communautés clandestines et officielles : « Ce que souhaite le Saint-Siège, c’est de voir, dans un avenir qui ne soit pas lointain, ces deux communautés se réconcilier, s’accueillir mutuellement, donner et recevoir la miséricorde en vue d’une annonce commune de l’Evangile qui soit véritablement crédible. » Cet objectif, que l’on pourrait qualifier de pastoral, se concrétise autour du choix et de la nomination d’évêques ayant les aptitudes requises pour être les pasteurs de cette Eglise locale.
Du côté chinois, on constate, sous la présidence de Xi Jinping, un durcissement généralisé du régime vis-à-vis de la société civile, et notamment des religions. Comment expliquer que Pékin semble souhaiter un accord avec le Saint-Siège ?
Il est très difficile de connaître les véritables motivations du gouvernement de Pékin et de prévoir l’issue des négociations, comme nous l’enseigne l’histoire récente. Par exemple, en 1999, l’espoir était au beau fixe tant à Rome que sur le terrain en Chine, mais les ordinations illégitimes de cinq évêques le 6 janvier 2000 ont totalement bloqué les négociations en cours. Une explication assez plausible est qu’à l’époque, le ministère des Affaires étrangères voulait obtenir un accord diplomatique, mais que les responsables des Affaires religieuses ne souhaitaient pas perdre le contrôle de l’Eglise. Une interprétation plus machiavélique suggère que le gouvernement chinois n’avait pas l’intention de parvenir à un accord avec le Saint-Siège, mais qu’il a profité des négociations en cours pour imposer plus de contrôle sur l’Eglise locale, en particulier sur la question du regroupement des diocèses. Cet enseignement de l’histoire appelle à la prudence pour bien comprendre ce qui se trame dans la complexité non transparente du gouvernement chinois.
Le 29 août, Hua Chunying, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a commenté de la manière suivante les déclarations du cardinal Parolin : « La Chine a toujours la volonté sincère d’améliorer ses relations avec le Vatican et y a travaillé sans relâche. Les canaux de contact et de dialogue entre les deux parties sont ouverts et efficaces. Nous entendons travailler ensemble avec le Vatican dans le même sens selon les principes concernés et poursuivre le dialogue constructif pour faire avancer sans cesse le processus d’amélioration des relations entre les deux pays. »
Si ces déclarations du ministère des Affaires étrangères sont encourageantes, les faits sur le terrain le sont moins. On peut citer l’ordination dans le Yunnan de neuf nouveaux prêtres par Mgr Ma Yinglin, évêque illégitime, le 24 mai dernier ; la volte-face de Mgr Ma Daqin, évêque auxiliaire de Shanghai, avec une déclaration dithyrambique sur les bienfaits de l’Association patriotique ; la mise à l’écart de Mgr Shao Zhumin de la succession épiscopale du diocèse de Wenzhou ; la préparation de la IXe Assemblée nationale des représentants catholiques, qui doit « élire » les nouveaux responsables de la Conférence épiscopale officielle. En cette période de négociations, on imaginerait de la part de Pékin plus de signes positifs pour montrer sa « volonté sincère d’améliorer les relations avec le Vatican ».
D’autres arguments peuvent justifier le désir de Pékin d’arriver à un accord avec le Saint-Siège. D’abord la figure du pape François. Son élection la veille de celle du président chinois, Xi Jinping ; ses mains tendues vers la Chine ; ses positions sur la scène internationale (en particulier dans le dossier de Cuba) ; sa stature internationale (la visite du pape François aux Etats-Unis a bénéficié d’une couverture médiatique beaucoup plus importante que celle du président Xi quelques jours plus tard…). Tout cela donne une bonne image de François en Chine. La situation de l’Eglise en Chine peut aussi pousser Pékin à se rapprocher du Saint-Siège. Les structures officielles mises en place par le gouvernement ne bénéficient pas du soutien de la plupart des catholiques, les évêques illégitimes, voire excommuniés, mis aux commandes de l’ensemble n’ont aucune crédibilité, à commencer par le diocèse dans lequel ils sévissent. On peut se demander si Pékin ne souhaite pas utiliser le Saint-Siège pour affermir son contrôle sur l’ensemble des communautés catholiques, officielles comme clandestines. En termes de politique internationale, on peut aussi envisager que Pékin souhaite inclure une amélioration des relations avec le Vatican dans sa stratégie de soft power afin d’amadouer l’opinion publique internationale. Mais à l’heure où les indices des droits de l’homme en Chine, y compris des libertés religieuses, sont dans le rouge, est-ce que le Saint-Siège ne risque pas de donner l’impression de cautionner un tel régime ?
Dans de telles conditions, quelles peuvent être les bases d’un tel accord ? Qu’est-ce qui est négociable, qu’est-ce qui ne l’est pas ?
« Négocier avec le tigre sa peau » : ce proverbe chinois rappelle qu’il est dangereux et voué à l’échec de négocier avec son adversaire sur des domaines qu’il ne peut pas abandonner. Le gouvernement chinois et le Saint-Siège ont de part et d’autres des principes non négociables qu’il est important de rappeler.
La politique religieuse de la Chine concerne l’ensemble des cinq religions reconnues par le gouvernement (bouddhisme, taoïsme, islam, catholicisme, protestantisme), et elle ne peut pas accorder à une religion des privilèges auxquelles les autres n’auraient pas droit. Cette politique religieuse est fondée sur quelques principes sans cesse rappelés et qui sont désormais inscrits dans la nouvelle loi sur la Sécurité nationale promulguée le 1er juillet 2015. L’article 27 (alinéa 84) concernant les religions, stipule : « Selon la loi, le pays protège la liberté de croire des citoyens et la participation aux activités religieuses normales. Il maintient le principe de l’indépendance et de l’autonomie de gouvernement des religions. » En avril dernier, lors d’une réunion au sommet sur la politique religieuse du Parti, le président Xi a promis de maintenir ce principe général d’indépendance des religions et a rappelé que l’œuvre de sinisation des religions devait être poursuivie afin que le pays soit préservé de toute « infiltration venue de l’étranger ». La « sinisation » chère à Xi Jinping n’a rien à voir avec la notion théologique d’inculturation de la foi : il s’agit bel et bien d’une adhésion des religions à la politique du Parti communiste, pour en faire des religions « à caractéristiques chinoises ». Voilà ce qui est non-négociable du côté de la Chine.
Du côté de l’Eglise, la foi en l’Eglise une, sainte, catholique et apostolique est inscrite dans le Credo, et la dimension apostolique de l’Eglise se construit sur la figure des évêques, en communion avec le successeur de Pierre. Ainsi, comme le rappelait Benoit XVI dans sa Lettre aux catholiques de Chine de 2007 : « Considérant ‘le dessein originel de Jésus’, il apparaît évident que la prétention de certains organismes, voulus par l’Etat et étrangers à la structure de l’Eglise, de se placer au-dessus des Evêques eux-mêmes et de guider la vie de la communauté ecclésiale ne correspond pas à la doctrine catholique. La finalité déclarée desdits organismes de mettre en œuvre « les principes d’indépendance et d’autonomie, d’autogestion et d’administration démocratique de l’Eglise » est inconciliable avec la doctrine catholique. » (point 7). Ainsi ce qui est non négociable pour l’Eglise recouvre de manière opposée ce qui est non négociable pour Pékin ; c’est ce qui rend les pourparlers bien difficiles.
Une fois qu’est défini clairement ce qui n’est pas négociable pour chacune des parties en présence, on peut envisager ce qui peut être négocié. Le cardinal Parolin rappelait une récente homélie du pape François à Sainte-Marthe, le 9 juin 2016, qui disait : « Il faut vivre ‘la toute petite sainteté de la négociation’, c’est-à-dire le ‘sain réalisme’ que l’Eglise nous enseigne : il s’agit donc de refuser la logique du ‘tout ou rien’ et d’emprunter la voie du ‘possible’ pour se réconcilier avec les autres. » Il semble que, lors des dernières rencontres entre les délégations de Pékin et du Vatican, ont justement été discutés les cas précis d’évêques pour lesquels les deux parties ont cherché des solutions acceptables pour tous, afin de permettre ainsi aux négociateurs de réaliser de réelles avancées sur des dossiers concrets, sans avoir à « négocier sa peau avec le tigre ». Cela se traduirait précisément par un pardon pour les huit évêques illégitimes, ce qui est considéré par le Saint-Siège comme un geste symbolique fort envers la Chine lors de cette année de la Miséricorde.
Pouvez-vous nous expliquer la situation de ces évêques illégitimes ?
Ces huit évêques sont illégitimes car ordonnés sans l’accord du Saint Père. Ces ordinations épiscopales sans mandat pontifical « rompent la communion avec le pontife romain et violent de manière grave la discipline ecclésiastique » (Déclaration du Conseil pontifical pour les textes législatifs du 6 juin 2011, précisant la juste application du canon 1382). Depuis 2011, pour tous les nouveaux cas d’ordination épiscopale sans mandat pontifical, le Saint-Siège a déclaré l’excommunication « latae sententiae » (i.e. automatiquement encourue par l’acte posé). Ainsi pour les trois derniers évêques illégitimes, l’excommunication a été déclarée. Comme le rappelait à l’époque le P. Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège, « la finalité de ces peines est toujours de conduire au repentir et à la réconciliation. Une personne qui se repent sincèrement a le droit d’être absoute, même d’une excommunication ». L’Eglise dans sa miséricorde se doit d’accueillir les fils prodigues qui font l’effort de revenir à la maison du père. Mais comme le rappelait Mgr Wei Jingyi, évêque « clandestin » de Qiqihar, dans une récente interview à Vatican Insider, il faut que celui qui quitte les cochons et sa vie misérable, n’y retourne pas aussi vite après avoir été pardonné. De même, on peut ajouter qu’il faut que ce fils ait vraiment quitté ses cochons pour qu’il y ait conversion et accueil possible par le père. Il est encore plus inimaginable que le fils en question réclame de son père d’approuver sa vie dissolue et de lui donner sa bénédiction.
Si le Saint Père accueille le repentir de ces huit évêques illégitimes et juge opportun de les absoudre, feront-ils une déclaration publique de leur repentir comme dans la parabole du fils prodigue, mais aussi comme dans le cas des précédents évêques illégitimes pardonnés ? Et que deviendront-ils ensuite ? Pour les Chinois, que l’on sait pragmatiques et habitués à la dichotomie entre la légalité et la réalité, un tel pardon sera facilement compris comme un « retour à la normale ». Mais pour ces évêques, être pardonnés est une grâce pour leur vie spirituelle, mais cela ne veut pas dire pour autant qu’ils obtiennent automatiquement juridiction sur les diocèses que le gouvernement leur avait confiés, d’autant que chacun de ces huit cas est particulier. Mgr Tu Shihua, ordonné illicitement en 1958 est officiellement évêque de Puqi (Hubei) ; il a désormais 97 ans et réside en permanence à Pékin. Il peut être facilement considéré comme étant à la retraite. Pour deux évêques, il est de notoriété publique qu’ils ont femmes et enfants : ils sont donc dans l’incapacité d’exercer le ministère épiscopal. Pour deux autres encore, il y a déjà un évêque titulaire pour les diocèses en question : il n’est pas envisageable de destituer ces derniers pour y mettre les évêques « nouvellement pardonnés » ; une solution serait de nommer ces derniers dans un autre diocèse vacant. Pour les trois autres cas, la nomination des évêques concernés ne devrait pas poser trop de problèmes canoniques (à condition qu’ils aient les aptitudes requises sur le plan moral). Il semble que l’un d’entre eux ait des velléités de démissionner, n’ayant plus aucune autorité au sein de l’Eglise locale.
Certains au sein de l’Eglise universelle (c’est le cas du cardinal Zen à Hongkong, par exemple), mettent en garde contre le risque de conclure maintenant un accord avec Pékin. D’autres, dont le milieu des vaticanistes romains se fait l’écho, insistent sur les bienfaits potentiels d’un tel accord. Y a-t-il des tensions au sein de l’Eglise ? Comment un tel éventuel accord peut-il être reçu par l’Eglise qui en Chine, notamment par sa partie « clandestine » ?
Depuis les années 1950, beaucoup de chrétiens (aussi bien dans le clergé que parmi les fidèles) ont souffert des persécutions directes ou indirectes du gouvernement. Les divisions sont souvent profondes et le manque de confiance dans le gouvernement très généralisé. Il n’est donc pas facile de faire croire à tous ces chrétiens chinois que le gouvernement chinois est sincère dans sa volonté de passer un accord avec le Saint-Siège. Le temps prouvera qui des optimistes ou des pessimistes a raison.
Comme le rappelaient aussi bien le cardinal Tong Hon dans son long article du 31 juillet dernier sur « la Communion de l’Eglise en Chine avec l’Eglise universelle », que Mgr Wei Jingyi dans l’interview accordée à Vatican Insider fin août, le pape François, « en tant que protecteur de l’unité et de la communion de l’Eglise universelle », n’acceptera pas un texte qui nuirait à l’intégrité de la foi ou à la communion de l’Eglise. Le cardinal Parolin a aussi rappelé que l’objectif d’un tel accord était « de trouver des solutions réalistes pour le bien de tous ». Mais dans la plupart des réactions en provenance de Chine, qui ont suivi l’article du cardinal Tong, le ton était beaucoup moins optimiste, les catholiques chinois craignant que le Saint-Siège se laisse « volontairement prendre à l’hameçon » (proverbe chinois correspondant à « mettre sa tête sur le billot »).
Quelles sont les conditions pour qu’un éventuel accord puisse aboutir et porter des fruits ?
Compte-tenu de la complexité de la situation, des précédents échecs des négociations, de la difficulté pour les Occidentaux en charge du dossier au Vatican (le seul responsable chinois, Mgr Savio Hon Tai-fai, a été transféré, le 6 juin dernier, sur l’île de Guam comme administrateur apostolique) de comprendre la mentalité chinoise et les subtilités du régime communiste…, il est essentiel de consulter très largement afin d’envisager toutes les hypothèses possibles. Des responsables de l’Eglise en Chine sont les plus à même de porter un tel discernement, mais il n’est pas sûr que, du côté de Rome comme de Pékin, ils aient été consultés. De son côté, le cardinal Zen se plaint que les canaux habituels de dialogue ont été fermés (par exemple la Commission vaticane pour l’Eglise en Chine n’a plus été réunie depuis l’élection du pape François). Il faut espérer que d’autres ont été ouverts. Le dialogue avec les autorités chinoises que recherche ardemment le Saint-Siège doit être favorisé avec la même ardeur au sein des différents cercles de l’Eglise en Chine.
Une visite du pape François en Chine vous paraît-elle envisageable ?
Comme il l’a rappelé dans l’avion qui le ramenait de Mexico, le 18 janvier dernier, le pape en rêve : « Aller en Chine, aller là-bas… cela me plairait tellement ! » et tout le monde le sait, y compris le gouvernement chinois, qui peut en jouer. Si tous les catholiques chinois rêvent d’accueillir le pape sur le sol de Chine, ils sont bien conscients que cela ne peut pas se faire à n’importe quel prix. Même si François nous a habitué à des surprises qui bousculaient des situations très compliquées, il y a encore beaucoup de questions difficiles à résoudre avant que le Saint Père puisse se rendre en Chine. Les récentes interventions fortement médiatisées de hauts dignitaires de l’Eglise (aussi bien le cardinal Parolin que le cardinal Tong) et l’échéance de la fin de l’année de la Miséricorde au cours de laquelle le Saint-Siège voudrait poser un geste symboliquement fort en faveur de la Chine, laissent supposer à l’aboutissement prochain d’un accord au moins partiel entre le Vatican et la Chine. Reste à voir quel en sera le contenu et les résultats. D’autres étapes suivront peut-être qui permettront au pape de se rendre en Chine.
Un test intéressant pour vérifier la bonne volonté des autorités chinoises sera de voir comment elles vont régler le cas de la succession du diocèse de Wenzhou (Zhejiang) et si elles vont convoquer la IXe Assemblée nationale des représentants catholiques.
En 2007, afin de favoriser l’unité entre les communautés « officielle » et « clandestine », Rome avait nommé évêque de Wenzhou Mgr Zhu Weifang, avec comme évêque coadjuteur le jeune Mgr Shao Zhumin. Mgr Zhu était issu de la communauté officielle et Mgr Shao de la communauté clandestine. Il était entendu qu’au décès de Mgr Zhu, Mgr Shao prendrait la tête de l’ensemble du diocèse de Wenzhou. Pendant toutes ces années, les deux communautés se sont de fait fortement rapprochées. Le 7 septembre dernier, Mgr Zhu est décédé à l’âge de 89 ans, Mgr Shao est donc devenu automatiquement le nouvel évêque titulaire de Wenzhou. Mais non seulement le gouvernement a emmené en voyage forcé Mgr Shao et quelques-uns de ses proches collaborateurs, mais les prêtres de la communauté clandestine n’ont pas été autorisés à participer aux obsèques de Mgr Zhu, le 13 septembre. Depuis, Mgr Shao est à nouveau libre, mais il n’est pas encore rentré dans son diocèse et le gouvernement a nommé un prêtre officiel, le P. Ma Xianshi, à la tête du diocèse de Wenzhou. On semble donc loin de la réconciliation espérée par le Saint Père, et présentée par le cardinal Parolin comme l’objectif fondamental des négociations en cours.
La convocation de la IXe Assemblée nationale des représentants catholiques est pressentie pour la fin de l’année 2016. En 2010, lors de la convocation de la VIIIe Assemblée, le Saint-Siège avait protesté « avec une profonde douleur » et condamné un « acte inacceptable et hostile » imposé à de nombreux évêques et prêtres contre leur conscience. Dans le climat actuel de négociations avec le Saint-Siège, Pékin va-t-il convoquer cette assemblée comme les bruits qui remontent du terrain le laissent entendre ? Le Saint-Siège va-t-il protester avec la même véhémence qu’en 2010 contre une telle assemblée et les principes d’indépendance et d’autonomie qu’elle véhicule ? Les prochaines semaines le diront.
(Source: Eglises d'Asie, le 20 septembre 2016 )