08/06/2016 - Depuis janvier 2014, les chrétiens du Zhejiang, province située au sud de Shanghai, subissent une forme particulière de répression: au nom du respect des normes d’urbanisme et de la législation sur les permis de construire, de très nombreuses croix situées au sommet des édifices religieux, que ce soient des
églises catholiques ou des temples protestants, ont été abattues. Lorsque les responsables de ces communautés chrétiennes résistent ou manifestent leur mécontentement, les autorités n’hésitent pas à intervenir de manière musclée.
En un peu plus de deux ans, entre 1 200 et 1 700 croix ont ainsi été abattues. Un article publié le 21 mai 2016 par le New York Times fait le point sur cette campagne, apparemment circonscrite à la seule province du Zhejiang. La traduction est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.
Au Zhejiang, au fil des vallées et des collines de cette province côtière que baignent les eaux de la mer de Chine orientale, la campagne gouvernementale d’abattage des croix situées sur les clochers des lieux de culte chrétiens laisse une impression de désolation au visiteur de passage. C’est comme si un typhon avait ravagé la côte, décapitant les bâtiments au hasard de son passage.
A Shuitou, ville du sud de la province, des ouvriers y sont allés au chalumeau pour retirer la croix de trois mètres de haut située au sommet du clocher de trente-sept mètres au-dessus de l’église du Salut. La croix repose maintenant dans la cour de l’église, enveloppée d’un maigre linceul rouge.
Dans la commune de Mabu, une quinzaine de kilomètres plus à l’est, la police anti-émeute a été déployée pour empêcher les paroissiens de pénétrer dans l’enceinte de l’église de Dachang alors que des ouvriers montaient des échafaudages pour scier la croix. Dans les villages de Ximei, Aojiang, Shanmen et Tengqiao, situés aux alentours, des croix sont ainsi tombées, et gisent maintenant à plat sur des toits ou dans des cours, ou sont encore enterrées comme des cadavres.
Au cours d’un voyage de quatre jours au cœur de cette région prospère de la province du Zhejiang, j’ai pu parler avec des habitants qui m’ont donné force détails sur les efforts impressionnants déployés par les autorités pour anéantir des croix, ce symbole qui partout dans le monde signale une présence chrétienne. Depuis un peu plus de deux ans, selon des membres de l’administration locale et de simples habitants, les autorités ont abattu les croix de 1 200 à 1 700 églises, donnant parfois lieu à des affrontements violents avec les croyants qui essayaient de les arrêter.
« Cela a été très difficile à gérer », commente un ancien de l’église de Shuitou qui a préféré, comme les autres, garder l’anonymat, de peur des représailles du gouvernement. « Il ne nous reste plus qu’à nous mettre à genoux et à prier. »
La campagne s’est limitée au Zhejiang, province qui abrite une des communautés chrétiennes les plus importantes et vivantes du pays. Mais selon des personnes au fait des délibérations du gouvernement chinois, derrière la campagne d’abattage des croix dans cette province se cache un nouvel effort déployé au niveau national pour réguler plus sévèrement la vie spirituelle en Chine. Cette tentative s’inscrit dans le resserrement général exercé par le pouvoir en place sur la société, un resserrement voulu par le président Xi Jinping.
A l’occasion d’un discours officiel important sur la politique religieuse du pays prononcé [en avril 2016], Xi Jinping a recommandé aux membres du Parti communiste de se « protéger résolument contre les infiltrations étrangères menées sous des prétextes religieux ». Il a aussi averti que les religions pratiquées en Chine devraient être « sinisées », et qu’elles devraient adhérer aux politiques religieuses du Parti communiste chinois. Ces instructions révèlent la crainte, ancienne, du gouvernement chinois que le christianisme sape un jour l’autorité du Parti. En Chine, bon nombre d’avocats des droits de l’homme sont des chrétiens, et beaucoup de dissidents ont déclaré avoir été influencés par l’idée que les droits de la personne humaine trouvent leur racine en Dieu.
Ces dernières décennies, malgré des campagnes régulières de répression contre les groupements religieux non enregistrés ou l’interdiction de mouvements spirituels tels le Falungong, le Parti avait largement toléré une certaine renaissance des religions en Chine, permettant aux Chinois d’exercer la religion de leur choix, encourageant même la construction d’églises, de mosquées, et de temples.
Des centaines de millions de personnes ont adopté les croyances religieuses dominantes du pays: le bouddhisme, le taoïsme, l’islam et le christianisme. La Chine compte aujourd’hui une soixantaine de millions de chrétiens. Beaucoup fréquentent des églises enregistrées par le gouvernement, mais la moitié d’entre eux au moins pratique dans des églises non enregistrées, que les autorités locales faisaient souvent semblant d’ignorer.
Mais la décision de Xi Jinping de convoquer une « conférence sur les religions » en avril dernier – la première du genre depuis ces quinze dernières années – témoigne sans doute de son insatisfaction vis-à-vis de certaines des décisions politiques adoptées au sujet de ces religions. Les personnes au fait des discussions du Parti pensent qu’il a l’intention de s’appuyer sur certaines des leçons tirées de la campagne dans le Zhejiang pour freiner la progression de l’ensemble des groupes religieux à travers le pays.
Selon les informations disponibles, s’il est improbable que le gouvernement en vienne à abattre toutes les croix des églises de Chine, on peut cependant s’attendre à ce que les autorités locales se mettent à examiner minutieusement les finances et les liens avec l’étranger de toutes les Eglises et autres institutions religieuses. De telles actions resteraient dans la lignée des efforts déployés par le gouvernement pour minimiser l’influence des religions – et plus particulièrement du christianisme –, considéré comme une menace pour le Parti.
« Les événements survenus dans le Zhejiang sont un test, estime Fan Yafeng, juriste indépendant à Pékin. Si le gouvernement considère que le résultat est un succès, il renouvellera et renforcera ses actions. »
Elargir cette campagne en vue de contrôler l’essor des religions pourrait pourtant, à terme, porter préjudice au président Xi Jinping. Les croyants quitteront les Eglises dites enregistrées, c’est-à-dire contrôlées par le gouvernement, pour rejoindre des communautés souterraines qui se réunissent secrètement, dans des immeubles de bureaux ou des demeures privées par exemple. La campagne pourrait aussi contrarier beaucoup de citadins, des cols-blancs convertis au christianisme.
« Ne pas considérer le christianisme comme une religion du pays mais comme une religion étrangère pourrait aliéner les chrétiens chinois », explique Fredrick Fallman, spécialiste du christianisme en Chine à l’université de Göteborg, en Suède. « Mais c’est peut-être ce qu’ils veulent: leur faire peur. »
Situé dans une vallée à une quinzaine de kilomètres de la côte, le village de Shuitou est un petit bourg de bâtiments en béton, aux rues arrangées de façon assez désordonnée. La plupart des lieux de culte traditionnels – des temples bouddhistes et taoïstes ainsi que des sanctuaires ancestraux dédiés aux défunts des familles – sont des petites structures. Certains sont construits à flanc de montagne et la plupart se situent à l’abri des regards.
Cependant, depuis les années 1980, quatorze églises ont été construites à Shuitou, financées grâce aux dons d’entrepreneurs locaux désireux d’afficher leur prospérité nouvelle et leur foi à toute épreuve. Les nefs sont hautes de plusieurs étages, et les flèches des clochers s’élancent vers le ciel, à plus de trente mètres au-dessus du sol.
Récemment encore, la plupart de ces flèches étaient surmontées de vives croix de couleur rouge. Mais celles-ci ont été retirées de la moitié des églises de Shuitou. Les ordres du gouvernement sont tombés tous les mois et d’autres sont encore à venir. Beaucoup de croyants interviewés s’inquiètent de voir arriver la fin d’une époque.
« Nous n’avions jamais eu de problème avec les autorités pendant des années », témoigne un croyant local. « Nos églises étaient bien vues par le gouvernement. »
Cette campagne d’abattage des croix a commencé en 2014, lorsque le gouvernement a annoncé de manière soudaine son projet de démolir l’église de la grande ville voisine, à Wenzhou, déclarant qu’elle n’avait jamais reçu de permis de construire en bonne et due forme. Le gouvernement a continué ensuite à émettre des ordres, exigeant des églises de toute la province pour qu’elles retirent leurs croix.
L’église du Salut, une construction qui comprend un hall principal de trois étages avec un toit surmonté de trois flèches, ainsi que des bureaux annexes et un parking, est vite devenue un centre de résistance. Des centaines de paroissiens ont encerclé l’église pour protéger sa croix, n’hésitant pas à affronter des centaines d’agents de la police anti-émeute.
Lors d’une confrontation, une cinquantaine des membres de l’église ont été blessés. Des photos de chrétiens battus et couverts de bleus ont inondé les réseaux sociaux et les sites Internet d’ONG étrangères luttant pour les droits des chrétiens.
D’après les paroissiens, le gouvernement exerce des pressions sur les membres les plus actifs de la communauté. Certains hommes d’affaires ont subi des pressions pour annuler des contrats établis avec des chrétiens. Des patrons ont aussi fait savoir à leurs employés qu’ils perdraient leur travail s’ils continuaient de manifester contre les décisions du gouvernement.
Après la destruction de l’église de Wenzhou, l’église du Salut a capitulé et accepté de retirer ses croix.
Le gouvernement a annoncé qu’il ne faisait qu’appliquer les codes d’urbanisme en vigueur, et que toutes les structures, pas seulement les églises, étaient visées. Cependant, des documents examinés par le New York Times indiquent que les autorités de cette province s’inquiètent de la place dominante que les églises commencent à prendre dans le paysage de la région.
Les croix ont été retirées par vagues. Selon des personnes travaillant au sein d’églises enregistrées auprès des autorités, un minimum de 1 200 croix avait déjà été retiré l’été dernier. De nombreux habitants affirment que le chiffre s’élèverait maintenant à 1 700.
« Tout est resté calme pendant longtemps l’année dernière », nous raconte un chrétien local, « mais maintenant, le gouvernement nous fait savoir de manière claire que toutes les croix seront retirées. »
Tandis que les autorités appuyaient la mise en œuvre rapide de cette campagne, des personnalités chinoises influentes, protestantes et catholiques, dont quelques anciens du Bureau des Affaires religieuses du gouvernement, la dénonçaient dans leurs sermons et par le biais des médias et des réseaux sociaux.
Gu Yuese, pasteur de l’église de Chongyi à Hangzhou (capitale de la province du Zhejiang); l’une des Eglises protestantes les plus importantes du monde sinophone, se trouvait parmi eux. Leader protestant extrêmement connu en Chine, Gu Yuese est influent, et ses critiques ont résonné au-delà des frontières du Zhejiang.
« Ces actions violent de manière flagrante la politique de liberté religieuse implémentée et améliorée de manière continue par le Parti depuis plus de soixante ans », a-t-il écrit sur du papier à en-tête officiel du gouvernement.
Depuis, il a été réduit au silence. En janvier dernier, la police a arrêté Gu Yuese, l’accusant d’avoir détourné des fonds de son Eglise. Quelques jours plus tard, un autre pasteur du Zhejiang qui avait manifesté son désaccord envers le gouvernement, se faisait arrêter lui-aussi, pour des raisons similaires.
« C’est une méthode pour nous dire de faire attention », commente le pasteur d’une église officielle de Wenzhou. « Aucun de nous n’a reçu de formation dans la finance, il est donc probable qu’un comptable envoyé pour vérifier nos comptes trouve des erreurs. »
Plusieurs membres du clergé de la région racontent subir des pressions des autorités locales, et doivent fournir des gages de leur loyauté au Parti communiste. Certaines Eglises ont par exemple commencé à faire l’éloge de la campagne du président Xi visant à promouvoir « les valeurs fondamentales du socialisme » – un slogan censé offrir un système de croyances séculières soutenant la légitimité du Parti.
« Nous devons nous comporter comme des chrétiens loyaux », explique une personne travaillant pour l’Eglise de Chengxi, à Wenzhou. « Autrement, nous pourrions avoir des problèmes. »
En février dernier, la télévision d’Etat a diffusé les « confessions » d’un avocat éminent qui avouait avoir collaboré avec des forces étrangères, et plus particulièrement avec des organisations américaines, pour semer le trouble chez les chrétiens de la région. Cet avocat, Zhang Kai, avait été dans le Zhejiang pour fournir des conseils juridiques aux Eglises opposées au retrait de leurs croix.
Les Eglises non enregistrées sont vulnérables, elles aussi. En décembre, la police détenait plusieurs membres de l’Eglise de Living Stone (« pierre vivante »), une communauté non enregistrée de la province du Guizhou, dans le sud de la Chine. Ces membres avaient refusé de rejoindre les rangs d’une Eglise protestante contrôlée par le gouvernement. Le pasteur a ensuite été arrêté pour « divulgation de secrets d’Etat ».
« C’est facile pour eux d’inventer des crimes et de nous en accuser », explique le pasteur d’une importante Eglise non enregistrée de Wenzhou. « Nous devons être très prudents. »
A Shuitou, bien des croyants préfèrent garder la tête baissée, espérant que l’orage passera vite.
Un dimanche du mois dernier, trois cent personnes environ ont assisté à la messe célébrée à l’église du Salut. Les femmes d’un côté, les hommes de l’autre – selon l’usage traditionnel. A l’avant de l’église, au dessus d’une grosse croix rouge, six caractères on pouvait lire: « La sainteté à Dieu ».
La plupart de ces hommes et de ces femmes avaient entre 50 et 60 ans, une moyenne élevée étant donné que les plus jeunes avaient, pour la plupart, choisi de boycotter la messe du dimanche, manifestant ainsi leur désaccord avec la décision de l’Eglise de se conformer aux ordres du gouvernement en acceptant de retirer la croix.
A la place, ces jeunes vont désormais à la messe du jeudi, commémorant ainsi le jour de la semaine où leur croix fut retirée. Ils participaient auparavant aux groupes d’étude de la Bible de leur Eglise, mais désormais ils étudient de leur côté. Certains se demandent s’ils ne devraient pas, avec d’autres, cesser complètement de se rendre dans les Eglises enregistrées pour commencer à fréquenter les Eglises souterraines.
Un ancien de l’Eglise faisant parti de la direction, qui a tenu à garder l’anonymat, raconte que s’ils ont accepté avec d’autres de retirer la croix, c’est qu’ils avaient peur qu’autrement leur église soit démolie. Les gens risquaient de perdre leur travail, a-t-il ajouté, et la direction s’est dit qu’il n’y avait plus d’autre choix que d’inviter les paroissiens à se soumettre aux ordres des autorités. « Il y a une trentaine d’années, nous n’avions même pas d’église, explique-t-il. Tout au long de son histoire, l’Eglise a connu des persécutions. Tout ce qu’il nous reste à faire, c’est de prier. »
(Traduction française de Marguerite Jacquelin
Source: Eglises d'Asie, le 8 juin 2016)
En un peu plus de deux ans, entre 1 200 et 1 700 croix ont ainsi été abattues. Un article publié le 21 mai 2016 par le New York Times fait le point sur cette campagne, apparemment circonscrite à la seule province du Zhejiang. La traduction est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.
Au Zhejiang, au fil des vallées et des collines de cette province côtière que baignent les eaux de la mer de Chine orientale, la campagne gouvernementale d’abattage des croix situées sur les clochers des lieux de culte chrétiens laisse une impression de désolation au visiteur de passage. C’est comme si un typhon avait ravagé la côte, décapitant les bâtiments au hasard de son passage.
A Shuitou, ville du sud de la province, des ouvriers y sont allés au chalumeau pour retirer la croix de trois mètres de haut située au sommet du clocher de trente-sept mètres au-dessus de l’église du Salut. La croix repose maintenant dans la cour de l’église, enveloppée d’un maigre linceul rouge.
Dans la commune de Mabu, une quinzaine de kilomètres plus à l’est, la police anti-émeute a été déployée pour empêcher les paroissiens de pénétrer dans l’enceinte de l’église de Dachang alors que des ouvriers montaient des échafaudages pour scier la croix. Dans les villages de Ximei, Aojiang, Shanmen et Tengqiao, situés aux alentours, des croix sont ainsi tombées, et gisent maintenant à plat sur des toits ou dans des cours, ou sont encore enterrées comme des cadavres.
Au cours d’un voyage de quatre jours au cœur de cette région prospère de la province du Zhejiang, j’ai pu parler avec des habitants qui m’ont donné force détails sur les efforts impressionnants déployés par les autorités pour anéantir des croix, ce symbole qui partout dans le monde signale une présence chrétienne. Depuis un peu plus de deux ans, selon des membres de l’administration locale et de simples habitants, les autorités ont abattu les croix de 1 200 à 1 700 églises, donnant parfois lieu à des affrontements violents avec les croyants qui essayaient de les arrêter.
« Cela a été très difficile à gérer », commente un ancien de l’église de Shuitou qui a préféré, comme les autres, garder l’anonymat, de peur des représailles du gouvernement. « Il ne nous reste plus qu’à nous mettre à genoux et à prier. »
La campagne s’est limitée au Zhejiang, province qui abrite une des communautés chrétiennes les plus importantes et vivantes du pays. Mais selon des personnes au fait des délibérations du gouvernement chinois, derrière la campagne d’abattage des croix dans cette province se cache un nouvel effort déployé au niveau national pour réguler plus sévèrement la vie spirituelle en Chine. Cette tentative s’inscrit dans le resserrement général exercé par le pouvoir en place sur la société, un resserrement voulu par le président Xi Jinping.
A l’occasion d’un discours officiel important sur la politique religieuse du pays prononcé [en avril 2016], Xi Jinping a recommandé aux membres du Parti communiste de se « protéger résolument contre les infiltrations étrangères menées sous des prétextes religieux ». Il a aussi averti que les religions pratiquées en Chine devraient être « sinisées », et qu’elles devraient adhérer aux politiques religieuses du Parti communiste chinois. Ces instructions révèlent la crainte, ancienne, du gouvernement chinois que le christianisme sape un jour l’autorité du Parti. En Chine, bon nombre d’avocats des droits de l’homme sont des chrétiens, et beaucoup de dissidents ont déclaré avoir été influencés par l’idée que les droits de la personne humaine trouvent leur racine en Dieu.
Ces dernières décennies, malgré des campagnes régulières de répression contre les groupements religieux non enregistrés ou l’interdiction de mouvements spirituels tels le Falungong, le Parti avait largement toléré une certaine renaissance des religions en Chine, permettant aux Chinois d’exercer la religion de leur choix, encourageant même la construction d’églises, de mosquées, et de temples.
Des centaines de millions de personnes ont adopté les croyances religieuses dominantes du pays: le bouddhisme, le taoïsme, l’islam et le christianisme. La Chine compte aujourd’hui une soixantaine de millions de chrétiens. Beaucoup fréquentent des églises enregistrées par le gouvernement, mais la moitié d’entre eux au moins pratique dans des églises non enregistrées, que les autorités locales faisaient souvent semblant d’ignorer.
Mais la décision de Xi Jinping de convoquer une « conférence sur les religions » en avril dernier – la première du genre depuis ces quinze dernières années – témoigne sans doute de son insatisfaction vis-à-vis de certaines des décisions politiques adoptées au sujet de ces religions. Les personnes au fait des discussions du Parti pensent qu’il a l’intention de s’appuyer sur certaines des leçons tirées de la campagne dans le Zhejiang pour freiner la progression de l’ensemble des groupes religieux à travers le pays.
Selon les informations disponibles, s’il est improbable que le gouvernement en vienne à abattre toutes les croix des églises de Chine, on peut cependant s’attendre à ce que les autorités locales se mettent à examiner minutieusement les finances et les liens avec l’étranger de toutes les Eglises et autres institutions religieuses. De telles actions resteraient dans la lignée des efforts déployés par le gouvernement pour minimiser l’influence des religions – et plus particulièrement du christianisme –, considéré comme une menace pour le Parti.
« Les événements survenus dans le Zhejiang sont un test, estime Fan Yafeng, juriste indépendant à Pékin. Si le gouvernement considère que le résultat est un succès, il renouvellera et renforcera ses actions. »
Elargir cette campagne en vue de contrôler l’essor des religions pourrait pourtant, à terme, porter préjudice au président Xi Jinping. Les croyants quitteront les Eglises dites enregistrées, c’est-à-dire contrôlées par le gouvernement, pour rejoindre des communautés souterraines qui se réunissent secrètement, dans des immeubles de bureaux ou des demeures privées par exemple. La campagne pourrait aussi contrarier beaucoup de citadins, des cols-blancs convertis au christianisme.
« Ne pas considérer le christianisme comme une religion du pays mais comme une religion étrangère pourrait aliéner les chrétiens chinois », explique Fredrick Fallman, spécialiste du christianisme en Chine à l’université de Göteborg, en Suède. « Mais c’est peut-être ce qu’ils veulent: leur faire peur. »
Situé dans une vallée à une quinzaine de kilomètres de la côte, le village de Shuitou est un petit bourg de bâtiments en béton, aux rues arrangées de façon assez désordonnée. La plupart des lieux de culte traditionnels – des temples bouddhistes et taoïstes ainsi que des sanctuaires ancestraux dédiés aux défunts des familles – sont des petites structures. Certains sont construits à flanc de montagne et la plupart se situent à l’abri des regards.
Cependant, depuis les années 1980, quatorze églises ont été construites à Shuitou, financées grâce aux dons d’entrepreneurs locaux désireux d’afficher leur prospérité nouvelle et leur foi à toute épreuve. Les nefs sont hautes de plusieurs étages, et les flèches des clochers s’élancent vers le ciel, à plus de trente mètres au-dessus du sol.
Récemment encore, la plupart de ces flèches étaient surmontées de vives croix de couleur rouge. Mais celles-ci ont été retirées de la moitié des églises de Shuitou. Les ordres du gouvernement sont tombés tous les mois et d’autres sont encore à venir. Beaucoup de croyants interviewés s’inquiètent de voir arriver la fin d’une époque.
« Nous n’avions jamais eu de problème avec les autorités pendant des années », témoigne un croyant local. « Nos églises étaient bien vues par le gouvernement. »
Cette campagne d’abattage des croix a commencé en 2014, lorsque le gouvernement a annoncé de manière soudaine son projet de démolir l’église de la grande ville voisine, à Wenzhou, déclarant qu’elle n’avait jamais reçu de permis de construire en bonne et due forme. Le gouvernement a continué ensuite à émettre des ordres, exigeant des églises de toute la province pour qu’elles retirent leurs croix.
En 2014, des chrétiens ont barricadé l l’accès aux démolisseurs de croix. (D. Tang/AP) |
Lors d’une confrontation, une cinquantaine des membres de l’église ont été blessés. Des photos de chrétiens battus et couverts de bleus ont inondé les réseaux sociaux et les sites Internet d’ONG étrangères luttant pour les droits des chrétiens.
D’après les paroissiens, le gouvernement exerce des pressions sur les membres les plus actifs de la communauté. Certains hommes d’affaires ont subi des pressions pour annuler des contrats établis avec des chrétiens. Des patrons ont aussi fait savoir à leurs employés qu’ils perdraient leur travail s’ils continuaient de manifester contre les décisions du gouvernement.
Après la destruction de l’église de Wenzhou, l’église du Salut a capitulé et accepté de retirer ses croix.
Le gouvernement a annoncé qu’il ne faisait qu’appliquer les codes d’urbanisme en vigueur, et que toutes les structures, pas seulement les églises, étaient visées. Cependant, des documents examinés par le New York Times indiquent que les autorités de cette province s’inquiètent de la place dominante que les églises commencent à prendre dans le paysage de la région.
Les croix ont été retirées par vagues. Selon des personnes travaillant au sein d’églises enregistrées auprès des autorités, un minimum de 1 200 croix avait déjà été retiré l’été dernier. De nombreux habitants affirment que le chiffre s’élèverait maintenant à 1 700.
« Tout est resté calme pendant longtemps l’année dernière », nous raconte un chrétien local, « mais maintenant, le gouvernement nous fait savoir de manière claire que toutes les croix seront retirées. »
Tandis que les autorités appuyaient la mise en œuvre rapide de cette campagne, des personnalités chinoises influentes, protestantes et catholiques, dont quelques anciens du Bureau des Affaires religieuses du gouvernement, la dénonçaient dans leurs sermons et par le biais des médias et des réseaux sociaux.
Gu Yuese, pasteur de l’église de Chongyi à Hangzhou (capitale de la province du Zhejiang); l’une des Eglises protestantes les plus importantes du monde sinophone, se trouvait parmi eux. Leader protestant extrêmement connu en Chine, Gu Yuese est influent, et ses critiques ont résonné au-delà des frontières du Zhejiang.
« Ces actions violent de manière flagrante la politique de liberté religieuse implémentée et améliorée de manière continue par le Parti depuis plus de soixante ans », a-t-il écrit sur du papier à en-tête officiel du gouvernement.
Depuis, il a été réduit au silence. En janvier dernier, la police a arrêté Gu Yuese, l’accusant d’avoir détourné des fonds de son Eglise. Quelques jours plus tard, un autre pasteur du Zhejiang qui avait manifesté son désaccord envers le gouvernement, se faisait arrêter lui-aussi, pour des raisons similaires.
« C’est une méthode pour nous dire de faire attention », commente le pasteur d’une église officielle de Wenzhou. « Aucun de nous n’a reçu de formation dans la finance, il est donc probable qu’un comptable envoyé pour vérifier nos comptes trouve des erreurs. »
Plusieurs membres du clergé de la région racontent subir des pressions des autorités locales, et doivent fournir des gages de leur loyauté au Parti communiste. Certaines Eglises ont par exemple commencé à faire l’éloge de la campagne du président Xi visant à promouvoir « les valeurs fondamentales du socialisme » – un slogan censé offrir un système de croyances séculières soutenant la légitimité du Parti.
« Nous devons nous comporter comme des chrétiens loyaux », explique une personne travaillant pour l’Eglise de Chengxi, à Wenzhou. « Autrement, nous pourrions avoir des problèmes. »
En février dernier, la télévision d’Etat a diffusé les « confessions » d’un avocat éminent qui avouait avoir collaboré avec des forces étrangères, et plus particulièrement avec des organisations américaines, pour semer le trouble chez les chrétiens de la région. Cet avocat, Zhang Kai, avait été dans le Zhejiang pour fournir des conseils juridiques aux Eglises opposées au retrait de leurs croix.
Les Eglises non enregistrées sont vulnérables, elles aussi. En décembre, la police détenait plusieurs membres de l’Eglise de Living Stone (« pierre vivante »), une communauté non enregistrée de la province du Guizhou, dans le sud de la Chine. Ces membres avaient refusé de rejoindre les rangs d’une Eglise protestante contrôlée par le gouvernement. Le pasteur a ensuite été arrêté pour « divulgation de secrets d’Etat ».
« C’est facile pour eux d’inventer des crimes et de nous en accuser », explique le pasteur d’une importante Eglise non enregistrée de Wenzhou. « Nous devons être très prudents. »
A Shuitou, bien des croyants préfèrent garder la tête baissée, espérant que l’orage passera vite.
Un dimanche du mois dernier, trois cent personnes environ ont assisté à la messe célébrée à l’église du Salut. Les femmes d’un côté, les hommes de l’autre – selon l’usage traditionnel. A l’avant de l’église, au dessus d’une grosse croix rouge, six caractères on pouvait lire: « La sainteté à Dieu ».
La plupart de ces hommes et de ces femmes avaient entre 50 et 60 ans, une moyenne élevée étant donné que les plus jeunes avaient, pour la plupart, choisi de boycotter la messe du dimanche, manifestant ainsi leur désaccord avec la décision de l’Eglise de se conformer aux ordres du gouvernement en acceptant de retirer la croix.
A la place, ces jeunes vont désormais à la messe du jeudi, commémorant ainsi le jour de la semaine où leur croix fut retirée. Ils participaient auparavant aux groupes d’étude de la Bible de leur Eglise, mais désormais ils étudient de leur côté. Certains se demandent s’ils ne devraient pas, avec d’autres, cesser complètement de se rendre dans les Eglises enregistrées pour commencer à fréquenter les Eglises souterraines.
Un ancien de l’Eglise faisant parti de la direction, qui a tenu à garder l’anonymat, raconte que s’ils ont accepté avec d’autres de retirer la croix, c’est qu’ils avaient peur qu’autrement leur église soit démolie. Les gens risquaient de perdre leur travail, a-t-il ajouté, et la direction s’est dit qu’il n’y avait plus d’autre choix que d’inviter les paroissiens à se soumettre aux ordres des autorités. « Il y a une trentaine d’années, nous n’avions même pas d’église, explique-t-il. Tout au long de son histoire, l’Eglise a connu des persécutions. Tout ce qu’il nous reste à faire, c’est de prier. »
(Traduction française de Marguerite Jacquelin
Source: Eglises d'Asie, le 8 juin 2016)