« Prions pour que les chrétiens, ainsi que les autres minorités religieuses, puissent vivre leur foi en toute liberté dans les pays asiatiques » : telle est l'intention de prière du pape François pour le mois de janvier. A cette occasion, le P. Jean Charbonnier, prêtre des Missions Etrangères de Paris (MEP) et spécialiste du christianisme chinois, revient sur la longue histoire sino-vaticane. En voici la deuxième partie.

I. LE POIDS DE L'ERE COLONIALE : UNE EUROPE CONQUERANTE, UNE CHINE HUMILIEE

II. LE SOCIALISME AUX COULEURS CHINOISES N'EST PLUS LE COMMUNISME CONDAMNE PAR L'EGLISE

La difficulté des relations entre la Chine et le Vatican s’enracine dans la revendication d'autarcie culturelle et de souveraineté chinoise face à un pouvoir spirituel à la fois étrange et étranger : étrange, parce qu'il veut transcender l’ordre socio-rituel de la Chine, étranger parce qu'en dépit de son caractère religieux, il paraît trop lié aux puissances occidentales et à l’ensemble culturel européen.

A la veille de la seconde guerre mondiale, avec la montée des fascismes face aux progrès communistes, ce contentieux s'est aggravé d'un conflit idéologico-politique : la condamnation du communisme par le pape Pie XI et le rejet par les catholiques du matérialisme marxiste. Le 19 mars 1936 l’encyclique de Pie XI Divini Redemptoris sur le communisme athée déclare le communisme « intrinsèquement pervers », dans sa conception matérialiste et déterministe de l’homme et du monde et aussi à cause de sa méthode totalitaire qui « dépouille l’homme de sa liberté » et « ne reconnaît à l’individu en face de la collectivité aucun des droits naturels à la personne humaine ». C’est inspirés par leur foi catholique que les syndicalistes polonais du mouvement Solidarité parviendront à faire tomber le système communiste en 1990. Ils seront d’ailleurs fortement soutenus par le pape Jean-Paul II. La Chine reste très consciente de ce drame historique qui menace son propre régime. Mais le communisme chinois au pouvoir ne reflète pas l’athéisme de Marx. Il lutte surtout contre le retour à des pratiques superstitieuses anciennes chez les cadres du Parti. Il recommande en outre une « civilisation spirituelle » qui reprend tout l’héritage moral confucéen.

En ce qui concerne les religions, la première Constitution promulguée le 20 septembre 1954 énonce à l'article 88 la liberté de croire et de ne pas croire. Mais il n'y a liberté religieuse que dans la mesure où les croyants ne mènent pas d'activités contre-révolutionnaires, lesquelles se définissent en fonction du stade atteint dans la transformation socialiste. L'organisme gouvernemental chargé du contrôle des religions est le Bureau des affaires religieuses qui fonctionne aux divers niveaux administratifs national, provincial et local. Ces bureaux réglementent les activités religieuses suivant les orientations données par le Front Uni, organe de propagande du PCC. Le Parti peut ainsi se recommander de la légalité pour oeuvrer à la transformation marxiste des religions. Les croyances ne sont pas attaquées de front, mais elles sont peu à peu vidées de leur contenu grâce à une réorientation du personnel religieux `activiste' vers les tâches sociales.

Soumission citoyenne de l’Eglise au régime politique chinois

Pour lancer la transformation socialiste des Eglises, le gouvernement communiste s’est contenté de répondre favorablement à la demande de certains chrétiens protestants qui défendaient le principe des Trois autonomies d'administration, de financement et d'apostolat. Le « Mouvement des Trois autonomies » est lancé officiellement chez les catholiques le 13 décembre 1950 avec la publication par l'agence Chine Nouvelle du Manifeste de Guangyuan signé du curé de Guangyuan, le P. Wang Liangzuo, et de 500 chrétiens.

Les réactions de Rome ne se font pas attendre. Le 18 janvier 1952, une première encyclique de Pie XII est adressée aux évêques, prêtres et fidèles de Chine sous le titre Cupimus in primis : « Nous désirons d'abord vous manifester notre ardente affection envers la nation chinoise toute entière ». Ayant dit son estime pour la Chine, le pape déplore d'autant plus que l'Eglise soit traitée en ennemi de la Chine. Il rappelle que l'Eglise est au service de Dieu et non d'une puissance particulière. Il exhorte les catholiques de Chine à demeurer forts et fidèles dans la persécution. Le 7 octobre 1954, une deuxième encyclique, Ad Sinarum gentem, adressée au peuple chinois, souligne que les catholiques ne sont pas moins patriotes que les autres et sont accusés à tort. Quant à leur autonomie d'administration, elle est souhaitable et sera réalisée dès que possible, mais elle ne peut exclure la soumission au Souverain Pontife. Le Mouvement des Trois autonomies, déclare le pape, vise à créer une Eglise nationale qui ne sera plus catholique, parce que niant son universalité.

Mais en Chine, la propagande gouvernementale poursuit son oeuvre. Les centres de résistance catholiques sont isolés et annihilés. Une assemblée nationale des catholiques chinois est ouverte le 15 juillet 1957 avec 241 délégués dont des évêques et des prêtres, venant de tous les diocèses de Chine. L'assemblée approuve la fondation de l'Association patriotique des Catholiques. L'archevêque de Shenyang, Mgr Pi Shushi 皮漱石, en est élu président.

D'après l'Annuaire pontifical de 1962, les évêques chinois nommés par Rome sont alors au nombre de 34. Mais une douzaine sont en prison ou empêchés d'exercer leur ministère. Ceux qui peuvent encore travailler ont du adopter une attitude plus ou moins conciliante à l'égard des autorités civiles. L'année 1958 marque un tournant critique dans la vie de l'Eglise en Chine. Des évêques sont élus et consacrés sans l'accord de Rome. Le 18 mars, deux évêques sont élus à Wuhan : Bernardin Dong Guangqing pour le diocèse de Hankou et Marc Yuan Wenhua pour le diocèse de Wuchang. 24 évêques sont ensuite consacrés dans le courant de l'année. 26 autres évêques seront encore consacrés de 1959 à 1963. Le 29 juin 1958, le pape publie une 3ème encyclique adressée aux catholiques chinois: Ad Apostolorum principis - Près du tombeau du prince des apôtres. Il y dénonce l’action de l'Association Patriotique en termes très sévères en lui prêtant des intentions destructrices de la foi :

« Sous le fallacieux prétexte de patriotisme, en effet, l'Association veut avant tout conduire graduellement les catholiques à donner leur adhésion et leur appui aux principes du matérialisme athée, négation de Dieu et de toutes les valeurs spirituelles. »

Le Pape déplore ensuite les consécrations épiscopales sans accord de Rome comme un acte très grave d'insoumission à l'Eglise. Ces évêques, dit-il, ne peuvent jouir d'aucun pouvoir de magistère ni de juridiction. Les actes qu'ils posent, même s'ils sont valides, sont gravement illicites.

Ce rappel à l'ordre pèsera jusqu'à nos jours sur la conscience de nombreux évêques. Plusieurs demanderont secrètement à être légitimés. Le nouveau pape Jean XXIII parle un instant de `schisme' lors d'un consistoire secret le 15 décembre 1958. Le mot ne sera plus prononcé par la suite, car les évêques de Chine n'ont agi pour la plupart que sous pression politique et par souci d'assurer le service pastoral des chrétiens. Ils demeurent de coeur fidèles à Rome.

L’activisme révolutionnaire de la première décennie du régime aboutit en 1966 à une phase d’ anéantissement complet des religions qui va durer dix ans. Même les prêtres « patriotiques » connaissent alors les camps de travail forcé. Toutes le églises sont fermées, détruites ou transformées en habitations, ateliers ou dépôts de marchandises. Seule la pensée de Mao Zedong fait appel à la foi populaire. L’entrée de la Chine aux Nations Unies en octobre 1971 entraîne un premier signe de changement : l’église du Nantang à Pékin est ouverte au culte le dimanche à l’usage des étrangers présents dans la capitale. Les catholiques chinois n’auront accès à leurs églises qu’à partir du 15 août 1978.

III. DEPUIS DECEMBRE 1978, ESSOR CONTINU DES RELIGIONS EN CHINE - à paraître

(Source: Eglises d'Asie, le 24 janvier 2018)