« Les femmes portent la moitié du ciel. » Le proverbe chinois est bien connu et il doit en partie sa popularité au fait que Mao Zedong l’a repris en le complétant sous cette forme : « Les femmes portent sur les épaules la moitié du ciel et elles doivent la conquérir. » Qu’en est-il dans l’Eglise de Chine ...
... aujourd’hui ? Quel est le rôle des femmes dans la vie de l’Eglise qui est en Chine ? Bien souvent, trop souvent peut-être, les informations rapportées par Eglises d’Asie ont trait aux difficultés que rencontre l’Eglise dans ses relations avec le pouvoir politique, notamment à propos de la nomination des évêques, et elles ne donnent pas à voir la vie quotidienne des catholiques chinois. Or, le fait est certain, le christianisme est aujourd’hui une religion qui se développe en Chine, sous la forme du protestantisme certes mais pas seulement. Les trois articles que nous publions aujourd’hui témoignent de la réalité de la vitalité missionnaire dont fait preuve l’Eglise catholique de Chine, une vitalité qui passe notamment par l’action des femmes.
Le premier (voir ci-dessous) est un témoignage, celui d’une convertie qui, avec le zèle apostolique qui souvent caractérise les convertis, est devenue une évangélisatrice hors pair, entièrement consacrée à la mission et parcourant pour cela le pays à l’appel des paroisses et des communautés locales.
Le second est une étude historique sur le rôle et la place des vierges catéchistes en Chine, ces femmes vouées au célibat qui ont contribué de manière très notable à l’accès des filles à l’éducation.
Le troisième est le point de vue d’une catholique de Chine qui partage ce qu’elle voit de l’action des femmes dans l’Eglise de Chine et des défis qui se posent à ces femmes du fait des évolutions économiques, sociales et démographiques que connaît le pays.
Ces trois articles ont été publiés dans Tripod (n° 170, automne 2013), la revue du Centre de recherches du Saint-Esprit du diocèse de Hongkong, et traduits en français par la Rédaction d’Eglises d’Asie.
De non-croyante à disciple de saint Paul
Du 17 au 19 août 2012, le huitième séminaire d’échange « Les amis de Xinde » s’est tenu à Shijiazhuang, dans la province du Hebei, en Chine populaire (1). Une femme catholique, portant une longue robe, donnait une conférence animée et éloquente, s’exprimant sans note, pendant un après-midi entier. Elle parlait de sa conversion miraculeuse, de sa « re-naissance » après être allée en pèlerinage à Rome, et d’un voyage à travers toute la Chine pour prêcher l’Evangile dans l’esprit de saint Paul. Elle a fait une forte impression sur tout l’auditoire, et les personnes présentes se sont réparties en petits groupes de trois à cinq personnes afin de passer un long moment à discuter de ce qu’elle venait de dire. C’était comme s’ils étaient entrés dans son monde à elle et devenaient une partie d’elle-même. L’intervenante était une catholique de la paroisse Xikai de Tianjin du nom de Wang Yifang.
Une conversion mystérieuse
En 1994, une vague de chômage a balayé Tianjin. Un jour, alors que Wang Yifang se rendait au bureau, un travailleur furieux a fait irruption dans les locaux, cherchant le directeur. A cette époque, Wang Yifang était employée dans ce bureau. Auparavant, le directeur lui avait donné des instructions : « Si quelqu’un vient au bureau et me cherche, dites-lui que je ne suis pas là. » Donc, conformément aux instructions du directeur, elle répondit au travailleur que le directeur n’était pas là. Par coïncidence, à peine avait-elle prononcé ces mots, le directeur entra dans le bureau à l’improviste.
Le travailleur saisit soudain à la gorge le directeur en hurlant : « Vous m’avez licencié. Maintenant, nous allons passer tous les deux par la fenêtre. Vous les patrons, vous vous engraissez à boire le sang des travailleurs et vous détruisez notre métier. Nous ne pouvons rien faire d’autre que de nous tuer. » Comme il était entraîné jusqu’à la fenêtre, le directeur craignait pour sa vie. Aussi, il promit à la hâte de le réembaucher. De cette façon, il évitait beaucoup d’ennuis.
Pour Wang Yifang, qui venait juste d’être diplômé de l’université et qui entrait dans le monde du travail, cet incident fit l’effet d’un choc. Elle ne pouvait rien faire mais cela lui faisait penser à un problème précédent. Un jour, alors que le directeur recevait des dirigeants, il a dépensé 10 000 yuans pour un repas pour six personnes. Une autre fois, sous prétexte d’examens et d’études, ils ont voyagé à travers toute la Chine, visitant les montagnes et les rivières célèbres.
Sa conscience la tourmentait. Elle ressentait qu’elle ne pouvait pas continuer à vivre de cette façon-là. C’est pourquoi elle a commencé à s’intéresser à la religion. Elle s’est rendue au temple [bouddhique] de la Grande Compassion à Tianjin. Un moine lui a donné un livre : Une introduction au bouddhisme. En le lisant, elle devint de plus en plus intéressée par le bouddhisme. Elle a hésité durant sept années, se demandant si elle devait ou non entrer au monastère. Elle ne le fit pas alors, mais elle a brûlé de l’encens plusieurs fois, à l’occasion des grandes fêtes.
En 2001, elle s’est finalement décidée à entrer au monastère bouddhiste. Le moine lui a demandé de mémoriser les « Incantations de la Grande Compassion » [Dàbēizhòu 大悲咒]. Elle a mémorisé les 13 premières, mais elle a bloqué sur la 14ème. Elle a essayé pendant trois jours mais elle n’est pas parvenue à s’en souvenir. Le moine lui a dit : « Laissez votre cœur s’apaiser, ensuite vous y arriverez. » Mais le cœur de la jeune novice ne s’apaisait pas. Elle s’est découragée. Elle se disait « Des femmes et des hommes âgés peuvent se souvenir du texte, pourquoi ne le ferais-je pas ? C’est sans doute parce que Bouddha ne veut pas de moi. » Désabusée, elle a entrepris son voyage de retour. Sur la route, elle est passée devant l’église Sikai. Un panneau sur la porte a attiré son attention. On pouvait y lire : « Le cours débute aujourd’hui. » Elle y est entrée immédiatement et s’est inscrite.
Wang Yifang a été attirée vers la foi catholique par la présentation du premier jour. Elle a assisté aux cours pendant trois mois et n’a pas manqué un seul jour. Le 23 avril 2001, elle et les 50 frères et sœurs de son cours de catéchuménat ont été baptisés, et elle est entrée dans la grande famille de l’Eglise catholique.
Une personne qui a touché les vêtements du pape
Qu’avait-elle pour devenir une catholique fervente ? Un passage des Ecritures lui est venu à l’esprit : « Bienheureux les pauvres d’esprit, car le royaume des cieux est à eux » (Mt, 5,3).
Elle a rangé ses vêtements à la mode et s’est débarrassée de ses bijoux, y compris de sa bague. Elle a porté alors des vêtements simples et courants. Elle a aussi coupé ses cheveux. En avril 2005, profitant de l’opportunité d’aller à l’étranger pour visiter des parents, elle a fait un pèlerinage à Rome. Après cela, elle est allée à Assise, où elle a séjourné une semaine. Alors qu’elle était en train de prier devant la tombe de saint François, elle qui ne pleurait jamais s’est retrouvée les yeux embués de larmes. Dans le train du retour vers Rome, elle apprit qu’un autre saint était également à Assise. Elle est descendue du train au premier arrêt, est retournée à Assise et a passé une deuxième semaine à la maison de sainte Claire.
Le 15 mai, fête de la Pentecôte, elle est allée avec une foule de pèlerins participer à la cérémonie d’investiture du pape Benoît XVI. Comme le Saint-Père marchait vers la basilique Saint-Pierre, tout le monde criait : « Vive le pape ! Vive le pape ! » Wang Yifang a demandé aux personnes qui se trouvaient près d’elle : « Qui est-ce ? ». Chacun répondait : « C’est le pape Benoît XVI. » Elle était désolée de ne pas apercevoir le visage du Saint Père. Quand la cérémonie fut terminée, elle s’est faufilée vers l’avant. Au milieu de la foule, le Saint Père repéra un visage asiatique, et ses pas le portèrent dans la direction de Wang. Wang Yifang a pu toucher les vêtements du pape et elle a pensé à la femme de l’Evangile qui souffrait d’hémorragies. Elle a espéré pouvoir être soignée de terribles maux de tête dont elle souffrait. Après avoir séjourné à Rome, elle est allée à Lourdes en France, et ses maux de tête ont complètement disparu.
Sa ferveur religieuse grandit encore à Lourdes. Elle décida d’imiter les volontaires là-bas et passa l’année entière à servir les pèlerins. Un prêtre chinois qu’elle a rencontré sur place lui a dit qu’elle pourrait servir l’Eglise dans de nombreux lieux à travers le monde. Pourquoi ne pas retourner en Chine et y prêcher l’Evangile ?
Une évangélisatrice heureuse
Quand elle est retournée à Tianjin, le curé lui a demandé de partager avec les catholiques ce qu’elle avait entendu et vu lors de son pèlerinage à Rome. Elle a parlé avec aisance pendant deux heures. Les catholiques ont été profondément touchés. Quand le pasteur a vu les bons résultats, il a programmé trois conférences supplémentaires. A chaque fois, la salle était archipleine.
Plus tard, à l’attention des catéchumènes, il fut prévu que Wang Yifang assure quelques cours. Après avoir enseigné pendant une courte période, sa conscience de la foi devint très forte. Quand elle rencontrait quelqu’un qui ne connaissait pas encore Jésus, elle ne pouvait pas se retenir d’annoncer l’Evangile à cette personne.
Elle avait connu précédemment beaucoup d’amis bouddhistes. Aussi, c’est à eux qu’elle a d’abord prêché l’Evangile. Elle décrivait tout d’abord son pèlerinage à Rome, puis elle leur parlait du sentiment d’élévation spirituelle qu’elle avait reçu avec son baptême. Quand ses amis entendaient ses paroles et voyaient ses actions, ils étaient profondément impressionnés. Plus de trente d’entre eux reçurent le baptême.
Peu de temps après son retour de Rome, un catholique la présenta à un de ses parents non catholique qui souffrait d’un cancer. Cette personne malade aimait parler avec elle et avait une grande confiance en elle. Un jour, la personne malade est venue la chercher à l’église. Juste à ce moment-là, Wang Yifang était partie à l’extérieur de la ville pour donner un cours de doctrine. Dans l’après-midi du même jour, le fils de la personne malade est venu à la maison de Wang Yifang et lui dit d’une voix consternée: « Ma mère a sauté dans le fleuve aujourd’hui du pont de Guangming. » Cette tragédie l’a profondément bouleversée. Elle s’est frappée la poitrine et a regretté de ne pas être allée la visiter avant. Dorénavant, une âme était perdue.
Depuis ce moment, elle a fait du salut des âmes sa priorité. Afin d’entrer en contact convenablement avec les gens, Wang Yifang avait sur son téléphone mobile le nom de plus de 30 filleuls, de non-catholiques qui avaient demandé son aide et de personnes gravement malades. Chaque mois, sa facture de téléphone dépassait les 300 Rmb. Aujourd’hui encore, les catholiques lui amènent toujours leurs parents et leurs amis non catholiques. Les intellectuels la recherchent également. Après avoir écouté Wang Yifang prêcher la doctrine, beaucoup d’entre eux ont reçu le baptême et sont entrés dans l’Eglise. Au cours des sept dernières années, plus de cent personnes ont été baptisées après avoir étudié la doctrine individuellement avec Wang Yifang.
En plus, elle passe la plus grande partie de son temps dans les paroisses du diocèse pour enseigner le catéchisme ou pour diriger des sessions d’étude de la Bible. Ainsi, dans son temps mesuré, elle sauve encore plus de personnes.
Wang Yifang a grandi entouré de l’amour d’un père et d’une mère attentionnés. L’école et le travail se sont tous les deux effectués en douceur. Elle grandissait pour devenir une personne formidable dans la famille. Mais elle avait toujours raison et adoptait une attitude arrogante : elle ne respectait pas sa belle-mère et elle ne savait pas comment aimer les autres. Après avoir mené la mission d’évangélisation, elle changea progressivement. Elle disait : « Je n’agissais pas très bien, et comment pouvais-je prêcher l’Evangile ! » Après cela, elle retournait chez elle, le visage souriant. Elle prit l’initiative de faire les tâches ménagères. Les relations avec sa belle-mère s’améliorèrent. Elle devint amie avec les enfants de celle-ci. Sa famille s’aperçut qu’elle avait quitté son ancienne personnalité pour devenir une nouvelle personne. Ils l’admiraient beaucoup et la soutenaient dans son travail pour l’Eglise.
En 2007, sa renommée s’est propagée. Des prêtres de l’extérieur du diocèse de Tianjin l’ont invitée à donner des cours dans leurs paroisses. Elle a ainsi parcouru le Henan, le Shanxi, le Shandong, le Jiangsu, le Guangdong, le Sichuan et la Mongolie intérieure, sans oublier Shanghai, Fushun et d’autres lieux encore. Elle revint plus de vingt fois au Hebei.
Un jour où elle se rendait dans un village de campagne à la frontière entre Nankin et le Zhenjiang, pour donner des cours de doctrine, le chef du village avait envoyé quelqu’un avec une bicyclette pour la recevoir. Il venait juste de pleuvoir et la route était devenue très boueuse. La bicyclette est tombée dans un étang. Elle était recouverte de tant de boue qu’elle ressemblait à « un soldat en terre cuite ». Mais afin de ne pas perdre de temps, elle a continué son voyage. Quand elle est arrivée à destination, elle a ôté son par-dessus, a essuyé la boue de ses chaussures, et est entrée dans la salle de cours.
Wang Yifang avait grandi dans une grande ville et elle était habituée aux grandes cités. Elle détestait les tenues campagnardes. Toutefois, elle pensait à saint François et sainte Claire et à la façon dont ils avaient grandi dans les maisons de la noblesse. Pourtant, pour l’amour de Dieu, ils sont allés dans la rue pour mendier. Aussi, les lèvres pincées, elle s’y est mise. Ses sœurs disaient d’elle : « La délicate Wang Yifang peut aussi bien dormir dans un hôtel que dans un poulailler. »
Wang Yifang sait aussi chanter et danser. S’impliquer dans une œuvre d’évangélisation la comble de joie. Son comportement joyeux et ses paroles sont contagieux pour quiconque l’écoute. Elle est une fervente croyante des paroles de saint Paul et de son engagement à « devenir tout à tous ». Elle préconise d’adapter les enseignements des Ecritures à l’environnement et à l’époque, afin de sauver des âmes. Dans les cours de catéchisme, elle aime utiliser des mélodies, ou des vers rimés pour valoriser la doctrine. Elle aime aussi utiliser le chant et la danse pour permettre plus facilement au contenu de la foi de pénétrer dans la vie quotidienne des citadins. Chacun aime assister à ses cours où l’assistance est presque toujours très nombreuse.
Depuis l’année 2010, à l’initiative de Wang Yifang, la communauté catholique du comté de Raoyang, dans la province du Hebei, met en scène des manifestations culturelles au cours des chaudes soirées d’été. Plus de 100 personnes non catholiques participent à chaque fois. Un bon nombre d’entre elles a fini par demander le baptême. Sous son inspiration, les religieuses d’Anguo, dans la province du Hebei, ont organisé de la même manière des spectacles de rue pour l’évangélisation. Ceux-ci ont aussi reçu bon accueil de la part du public. Ses « méthodes d’évangélisation inculturée » ont été bien reçues par tous et ont produit beaucoup de fruit. Elle est très familiarisée avec les traits de la personnalité et de la psychologie féminine. Dans des séminaires, elle analyse les raisons des relations difficiles entre belles-mères et belles-filles et des heurts entre les époux. Ses présentations sont compréhensibles, claires et factuelles. Elles forcent l’accord de l’auditoire. Soit près de Tianjin ou plus loin dans d’autres régions du pays, de nombreuses communautés rivalisent entre elles pour l’inviter à leurs conférences pour les femmes ou à celles pour la préparation au mariage. Les résultats de ses interventions sont tous très satisfaisants. Ces sept dernières années, Wang Yifang a participé à plus de 100 conférences de doctrine, à des camps d’été et des groupes d’étude de la Bible. Elle a aussi donné des conférences à des prêtres et des religieuses. Par la parole et par l’exemple, elle les encourage à s’engager pour l’évangélisation et beaucoup le font.
Les actions parlent plus fort que les mots
Wang Yifang, qui vient juste d’avoir 50 ans, a une famille heureuse. Son mari est un intellectuel instruit et discipliné. Il se rend compte que sa femme fait un travail juste. Non seulement il ne s’oppose pas à elle, mais il la soutient. Il lui a seulement dit : « N’accepte pas d’argent de qui que ce soit. » En sept ans, elle a reçu une fois seulement de l’argent pour un billet d’avion. C’était parce que quelqu’un avait secrètement mis l’argent dans son bagage, et elle l’a seulement découvert en arrivant chez elle. Parfois, les voisins s’étonnent de voir Wang Yifang quitter sa maison si souvent. Son mari lui a dit : « L’Eglise catholique a dix commandements. Si tu ne respectes pas l’un d’entre eux, tu iras en enfer. Aussi, je suis complètement à l’aise quand ma femme s’en va. » Aujourd’hui que la renommée de sa femme s’est répandue dans le monde entier, il est très fier d’elle. Cependant, il n’a pas reçu le baptême.
A cause de l’Evangile, Wang Yifang a enduré des peines et des souffrances. Les voisins peuvent la critiquer, mais ils ont vu qu’elle avait renoncé à un bon travail et à un bon salaire pour aller prêcher l’Evangile, utilisant l’argent de sa propre famille. Ils ont été profondément émus. Plus encore, ils ont été convaincus de sa sincérité par l’esprit de sacrifice dont elle fait preuve.
(1) Le présent texte est paru dans le journal Xinde (‘La foi’), publication catholique de Shijiazhuang, au Hebei. Traduit du chinois par le P. Peter Barry, MM, il a été traduit en français par la Rédaction d’Eglises d’Asie.
(Source: Eglises d'Asie, le 26 février 2014)
... aujourd’hui ? Quel est le rôle des femmes dans la vie de l’Eglise qui est en Chine ? Bien souvent, trop souvent peut-être, les informations rapportées par Eglises d’Asie ont trait aux difficultés que rencontre l’Eglise dans ses relations avec le pouvoir politique, notamment à propos de la nomination des évêques, et elles ne donnent pas à voir la vie quotidienne des catholiques chinois. Or, le fait est certain, le christianisme est aujourd’hui une religion qui se développe en Chine, sous la forme du protestantisme certes mais pas seulement. Les trois articles que nous publions aujourd’hui témoignent de la réalité de la vitalité missionnaire dont fait preuve l’Eglise catholique de Chine, une vitalité qui passe notamment par l’action des femmes.
Le premier (voir ci-dessous) est un témoignage, celui d’une convertie qui, avec le zèle apostolique qui souvent caractérise les convertis, est devenue une évangélisatrice hors pair, entièrement consacrée à la mission et parcourant pour cela le pays à l’appel des paroisses et des communautés locales.
Le second est une étude historique sur le rôle et la place des vierges catéchistes en Chine, ces femmes vouées au célibat qui ont contribué de manière très notable à l’accès des filles à l’éducation.
Le troisième est le point de vue d’une catholique de Chine qui partage ce qu’elle voit de l’action des femmes dans l’Eglise de Chine et des défis qui se posent à ces femmes du fait des évolutions économiques, sociales et démographiques que connaît le pays.
Ces trois articles ont été publiés dans Tripod (n° 170, automne 2013), la revue du Centre de recherches du Saint-Esprit du diocèse de Hongkong, et traduits en français par la Rédaction d’Eglises d’Asie.
De non-croyante à disciple de saint Paul
Du 17 au 19 août 2012, le huitième séminaire d’échange « Les amis de Xinde » s’est tenu à Shijiazhuang, dans la province du Hebei, en Chine populaire (1). Une femme catholique, portant une longue robe, donnait une conférence animée et éloquente, s’exprimant sans note, pendant un après-midi entier. Elle parlait de sa conversion miraculeuse, de sa « re-naissance » après être allée en pèlerinage à Rome, et d’un voyage à travers toute la Chine pour prêcher l’Evangile dans l’esprit de saint Paul. Elle a fait une forte impression sur tout l’auditoire, et les personnes présentes se sont réparties en petits groupes de trois à cinq personnes afin de passer un long moment à discuter de ce qu’elle venait de dire. C’était comme s’ils étaient entrés dans son monde à elle et devenaient une partie d’elle-même. L’intervenante était une catholique de la paroisse Xikai de Tianjin du nom de Wang Yifang.
Une conversion mystérieuse
En 1994, une vague de chômage a balayé Tianjin. Un jour, alors que Wang Yifang se rendait au bureau, un travailleur furieux a fait irruption dans les locaux, cherchant le directeur. A cette époque, Wang Yifang était employée dans ce bureau. Auparavant, le directeur lui avait donné des instructions : « Si quelqu’un vient au bureau et me cherche, dites-lui que je ne suis pas là. » Donc, conformément aux instructions du directeur, elle répondit au travailleur que le directeur n’était pas là. Par coïncidence, à peine avait-elle prononcé ces mots, le directeur entra dans le bureau à l’improviste.
Le travailleur saisit soudain à la gorge le directeur en hurlant : « Vous m’avez licencié. Maintenant, nous allons passer tous les deux par la fenêtre. Vous les patrons, vous vous engraissez à boire le sang des travailleurs et vous détruisez notre métier. Nous ne pouvons rien faire d’autre que de nous tuer. » Comme il était entraîné jusqu’à la fenêtre, le directeur craignait pour sa vie. Aussi, il promit à la hâte de le réembaucher. De cette façon, il évitait beaucoup d’ennuis.
Pour Wang Yifang, qui venait juste d’être diplômé de l’université et qui entrait dans le monde du travail, cet incident fit l’effet d’un choc. Elle ne pouvait rien faire mais cela lui faisait penser à un problème précédent. Un jour, alors que le directeur recevait des dirigeants, il a dépensé 10 000 yuans pour un repas pour six personnes. Une autre fois, sous prétexte d’examens et d’études, ils ont voyagé à travers toute la Chine, visitant les montagnes et les rivières célèbres.
Sa conscience la tourmentait. Elle ressentait qu’elle ne pouvait pas continuer à vivre de cette façon-là. C’est pourquoi elle a commencé à s’intéresser à la religion. Elle s’est rendue au temple [bouddhique] de la Grande Compassion à Tianjin. Un moine lui a donné un livre : Une introduction au bouddhisme. En le lisant, elle devint de plus en plus intéressée par le bouddhisme. Elle a hésité durant sept années, se demandant si elle devait ou non entrer au monastère. Elle ne le fit pas alors, mais elle a brûlé de l’encens plusieurs fois, à l’occasion des grandes fêtes.
En 2001, elle s’est finalement décidée à entrer au monastère bouddhiste. Le moine lui a demandé de mémoriser les « Incantations de la Grande Compassion » [Dàbēizhòu 大悲咒]. Elle a mémorisé les 13 premières, mais elle a bloqué sur la 14ème. Elle a essayé pendant trois jours mais elle n’est pas parvenue à s’en souvenir. Le moine lui a dit : « Laissez votre cœur s’apaiser, ensuite vous y arriverez. » Mais le cœur de la jeune novice ne s’apaisait pas. Elle s’est découragée. Elle se disait « Des femmes et des hommes âgés peuvent se souvenir du texte, pourquoi ne le ferais-je pas ? C’est sans doute parce que Bouddha ne veut pas de moi. » Désabusée, elle a entrepris son voyage de retour. Sur la route, elle est passée devant l’église Sikai. Un panneau sur la porte a attiré son attention. On pouvait y lire : « Le cours débute aujourd’hui. » Elle y est entrée immédiatement et s’est inscrite.
Wang Yifang a été attirée vers la foi catholique par la présentation du premier jour. Elle a assisté aux cours pendant trois mois et n’a pas manqué un seul jour. Le 23 avril 2001, elle et les 50 frères et sœurs de son cours de catéchuménat ont été baptisés, et elle est entrée dans la grande famille de l’Eglise catholique.
Une personne qui a touché les vêtements du pape
Qu’avait-elle pour devenir une catholique fervente ? Un passage des Ecritures lui est venu à l’esprit : « Bienheureux les pauvres d’esprit, car le royaume des cieux est à eux » (Mt, 5,3).
Elle a rangé ses vêtements à la mode et s’est débarrassée de ses bijoux, y compris de sa bague. Elle a porté alors des vêtements simples et courants. Elle a aussi coupé ses cheveux. En avril 2005, profitant de l’opportunité d’aller à l’étranger pour visiter des parents, elle a fait un pèlerinage à Rome. Après cela, elle est allée à Assise, où elle a séjourné une semaine. Alors qu’elle était en train de prier devant la tombe de saint François, elle qui ne pleurait jamais s’est retrouvée les yeux embués de larmes. Dans le train du retour vers Rome, elle apprit qu’un autre saint était également à Assise. Elle est descendue du train au premier arrêt, est retournée à Assise et a passé une deuxième semaine à la maison de sainte Claire.
Le 15 mai, fête de la Pentecôte, elle est allée avec une foule de pèlerins participer à la cérémonie d’investiture du pape Benoît XVI. Comme le Saint-Père marchait vers la basilique Saint-Pierre, tout le monde criait : « Vive le pape ! Vive le pape ! » Wang Yifang a demandé aux personnes qui se trouvaient près d’elle : « Qui est-ce ? ». Chacun répondait : « C’est le pape Benoît XVI. » Elle était désolée de ne pas apercevoir le visage du Saint Père. Quand la cérémonie fut terminée, elle s’est faufilée vers l’avant. Au milieu de la foule, le Saint Père repéra un visage asiatique, et ses pas le portèrent dans la direction de Wang. Wang Yifang a pu toucher les vêtements du pape et elle a pensé à la femme de l’Evangile qui souffrait d’hémorragies. Elle a espéré pouvoir être soignée de terribles maux de tête dont elle souffrait. Après avoir séjourné à Rome, elle est allée à Lourdes en France, et ses maux de tête ont complètement disparu.
Sa ferveur religieuse grandit encore à Lourdes. Elle décida d’imiter les volontaires là-bas et passa l’année entière à servir les pèlerins. Un prêtre chinois qu’elle a rencontré sur place lui a dit qu’elle pourrait servir l’Eglise dans de nombreux lieux à travers le monde. Pourquoi ne pas retourner en Chine et y prêcher l’Evangile ?
Une évangélisatrice heureuse
Quand elle est retournée à Tianjin, le curé lui a demandé de partager avec les catholiques ce qu’elle avait entendu et vu lors de son pèlerinage à Rome. Elle a parlé avec aisance pendant deux heures. Les catholiques ont été profondément touchés. Quand le pasteur a vu les bons résultats, il a programmé trois conférences supplémentaires. A chaque fois, la salle était archipleine.
Plus tard, à l’attention des catéchumènes, il fut prévu que Wang Yifang assure quelques cours. Après avoir enseigné pendant une courte période, sa conscience de la foi devint très forte. Quand elle rencontrait quelqu’un qui ne connaissait pas encore Jésus, elle ne pouvait pas se retenir d’annoncer l’Evangile à cette personne.
Elle avait connu précédemment beaucoup d’amis bouddhistes. Aussi, c’est à eux qu’elle a d’abord prêché l’Evangile. Elle décrivait tout d’abord son pèlerinage à Rome, puis elle leur parlait du sentiment d’élévation spirituelle qu’elle avait reçu avec son baptême. Quand ses amis entendaient ses paroles et voyaient ses actions, ils étaient profondément impressionnés. Plus de trente d’entre eux reçurent le baptême.
Peu de temps après son retour de Rome, un catholique la présenta à un de ses parents non catholique qui souffrait d’un cancer. Cette personne malade aimait parler avec elle et avait une grande confiance en elle. Un jour, la personne malade est venue la chercher à l’église. Juste à ce moment-là, Wang Yifang était partie à l’extérieur de la ville pour donner un cours de doctrine. Dans l’après-midi du même jour, le fils de la personne malade est venu à la maison de Wang Yifang et lui dit d’une voix consternée: « Ma mère a sauté dans le fleuve aujourd’hui du pont de Guangming. » Cette tragédie l’a profondément bouleversée. Elle s’est frappée la poitrine et a regretté de ne pas être allée la visiter avant. Dorénavant, une âme était perdue.
Depuis ce moment, elle a fait du salut des âmes sa priorité. Afin d’entrer en contact convenablement avec les gens, Wang Yifang avait sur son téléphone mobile le nom de plus de 30 filleuls, de non-catholiques qui avaient demandé son aide et de personnes gravement malades. Chaque mois, sa facture de téléphone dépassait les 300 Rmb. Aujourd’hui encore, les catholiques lui amènent toujours leurs parents et leurs amis non catholiques. Les intellectuels la recherchent également. Après avoir écouté Wang Yifang prêcher la doctrine, beaucoup d’entre eux ont reçu le baptême et sont entrés dans l’Eglise. Au cours des sept dernières années, plus de cent personnes ont été baptisées après avoir étudié la doctrine individuellement avec Wang Yifang.
En plus, elle passe la plus grande partie de son temps dans les paroisses du diocèse pour enseigner le catéchisme ou pour diriger des sessions d’étude de la Bible. Ainsi, dans son temps mesuré, elle sauve encore plus de personnes.
Wang Yifang a grandi entouré de l’amour d’un père et d’une mère attentionnés. L’école et le travail se sont tous les deux effectués en douceur. Elle grandissait pour devenir une personne formidable dans la famille. Mais elle avait toujours raison et adoptait une attitude arrogante : elle ne respectait pas sa belle-mère et elle ne savait pas comment aimer les autres. Après avoir mené la mission d’évangélisation, elle changea progressivement. Elle disait : « Je n’agissais pas très bien, et comment pouvais-je prêcher l’Evangile ! » Après cela, elle retournait chez elle, le visage souriant. Elle prit l’initiative de faire les tâches ménagères. Les relations avec sa belle-mère s’améliorèrent. Elle devint amie avec les enfants de celle-ci. Sa famille s’aperçut qu’elle avait quitté son ancienne personnalité pour devenir une nouvelle personne. Ils l’admiraient beaucoup et la soutenaient dans son travail pour l’Eglise.
En 2007, sa renommée s’est propagée. Des prêtres de l’extérieur du diocèse de Tianjin l’ont invitée à donner des cours dans leurs paroisses. Elle a ainsi parcouru le Henan, le Shanxi, le Shandong, le Jiangsu, le Guangdong, le Sichuan et la Mongolie intérieure, sans oublier Shanghai, Fushun et d’autres lieux encore. Elle revint plus de vingt fois au Hebei.
Un jour où elle se rendait dans un village de campagne à la frontière entre Nankin et le Zhenjiang, pour donner des cours de doctrine, le chef du village avait envoyé quelqu’un avec une bicyclette pour la recevoir. Il venait juste de pleuvoir et la route était devenue très boueuse. La bicyclette est tombée dans un étang. Elle était recouverte de tant de boue qu’elle ressemblait à « un soldat en terre cuite ». Mais afin de ne pas perdre de temps, elle a continué son voyage. Quand elle est arrivée à destination, elle a ôté son par-dessus, a essuyé la boue de ses chaussures, et est entrée dans la salle de cours.
Wang Yifang avait grandi dans une grande ville et elle était habituée aux grandes cités. Elle détestait les tenues campagnardes. Toutefois, elle pensait à saint François et sainte Claire et à la façon dont ils avaient grandi dans les maisons de la noblesse. Pourtant, pour l’amour de Dieu, ils sont allés dans la rue pour mendier. Aussi, les lèvres pincées, elle s’y est mise. Ses sœurs disaient d’elle : « La délicate Wang Yifang peut aussi bien dormir dans un hôtel que dans un poulailler. »
Wang Yifang sait aussi chanter et danser. S’impliquer dans une œuvre d’évangélisation la comble de joie. Son comportement joyeux et ses paroles sont contagieux pour quiconque l’écoute. Elle est une fervente croyante des paroles de saint Paul et de son engagement à « devenir tout à tous ». Elle préconise d’adapter les enseignements des Ecritures à l’environnement et à l’époque, afin de sauver des âmes. Dans les cours de catéchisme, elle aime utiliser des mélodies, ou des vers rimés pour valoriser la doctrine. Elle aime aussi utiliser le chant et la danse pour permettre plus facilement au contenu de la foi de pénétrer dans la vie quotidienne des citadins. Chacun aime assister à ses cours où l’assistance est presque toujours très nombreuse.
Depuis l’année 2010, à l’initiative de Wang Yifang, la communauté catholique du comté de Raoyang, dans la province du Hebei, met en scène des manifestations culturelles au cours des chaudes soirées d’été. Plus de 100 personnes non catholiques participent à chaque fois. Un bon nombre d’entre elles a fini par demander le baptême. Sous son inspiration, les religieuses d’Anguo, dans la province du Hebei, ont organisé de la même manière des spectacles de rue pour l’évangélisation. Ceux-ci ont aussi reçu bon accueil de la part du public. Ses « méthodes d’évangélisation inculturée » ont été bien reçues par tous et ont produit beaucoup de fruit. Elle est très familiarisée avec les traits de la personnalité et de la psychologie féminine. Dans des séminaires, elle analyse les raisons des relations difficiles entre belles-mères et belles-filles et des heurts entre les époux. Ses présentations sont compréhensibles, claires et factuelles. Elles forcent l’accord de l’auditoire. Soit près de Tianjin ou plus loin dans d’autres régions du pays, de nombreuses communautés rivalisent entre elles pour l’inviter à leurs conférences pour les femmes ou à celles pour la préparation au mariage. Les résultats de ses interventions sont tous très satisfaisants. Ces sept dernières années, Wang Yifang a participé à plus de 100 conférences de doctrine, à des camps d’été et des groupes d’étude de la Bible. Elle a aussi donné des conférences à des prêtres et des religieuses. Par la parole et par l’exemple, elle les encourage à s’engager pour l’évangélisation et beaucoup le font.
Les actions parlent plus fort que les mots
Wang Yifang, qui vient juste d’avoir 50 ans, a une famille heureuse. Son mari est un intellectuel instruit et discipliné. Il se rend compte que sa femme fait un travail juste. Non seulement il ne s’oppose pas à elle, mais il la soutient. Il lui a seulement dit : « N’accepte pas d’argent de qui que ce soit. » En sept ans, elle a reçu une fois seulement de l’argent pour un billet d’avion. C’était parce que quelqu’un avait secrètement mis l’argent dans son bagage, et elle l’a seulement découvert en arrivant chez elle. Parfois, les voisins s’étonnent de voir Wang Yifang quitter sa maison si souvent. Son mari lui a dit : « L’Eglise catholique a dix commandements. Si tu ne respectes pas l’un d’entre eux, tu iras en enfer. Aussi, je suis complètement à l’aise quand ma femme s’en va. » Aujourd’hui que la renommée de sa femme s’est répandue dans le monde entier, il est très fier d’elle. Cependant, il n’a pas reçu le baptême.
A cause de l’Evangile, Wang Yifang a enduré des peines et des souffrances. Les voisins peuvent la critiquer, mais ils ont vu qu’elle avait renoncé à un bon travail et à un bon salaire pour aller prêcher l’Evangile, utilisant l’argent de sa propre famille. Ils ont été profondément émus. Plus encore, ils ont été convaincus de sa sincérité par l’esprit de sacrifice dont elle fait preuve.
(1) Le présent texte est paru dans le journal Xinde (‘La foi’), publication catholique de Shijiazhuang, au Hebei. Traduit du chinois par le P. Peter Barry, MM, il a été traduit en français par la Rédaction d’Eglises d’Asie.
(Source: Eglises d'Asie, le 26 février 2014)