Sri Lanka: "Pour aller de l’avant, le Sri Lanka doit faire toute la lumière sur son passé"
Près d’un mois après la défaite de Mahinda Rajapaksa lors des élections présidentielles du 8 janvier, les attentes envers le nouveau président, Maithripala Sirisena, demeurent très fortes. Si l’atmosphère a changé dans le pays – les gens ont retrouvé leur liberté de parole – et si les Sri-Lankais sont prêts à faire confiance à leur nouveau président pour restaurer l’Etat de droit et veiller au respect des libertés fondamentales, tout reste encore à faire pour à la fois renforcer les institutions démocratiques et apporter une réponse aux revendications des différentes composantes ethniques et religieuses de la société sri-lankaise. Six ans après la fin de la guerre civile, les blessures nées de ce conflit sont toujours béantes. On estime à 100 000 le nombre des civils morts pendant la guerre entre les forces gouvernementales et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Les tensions entre la majorité cinghalaise et la minorité tamoule sont latentes.
Basil Fernando dirige depuis plus de vingt ans l’Asian Human Rights Watch Commission, organisation de défense des droits de l’homme en Asie. Fondée en 1986, basée à Hongkong, cette ONG indépendante (à ne pas confondre avec la section Asie de l’ONG américaine Human Rights Watch) publie des « Urgent Appeals » afin d’attirer l’attention de l’opinion publique internationale sur telle ou telle personne en danger ou situation problématique au regard de la défense des droits de l’homme.
Né en 1944, cinghalais, avocat de formation, Basil Fernando a dû quitter son pays en 1989 après avoir dénoncé la corruption prévalant dans le système judiciaire du Sri Lanka. Visé par des menaces de mort, il a trouvé refuge à Hongkong, d’où il est devenu une voix écoutée en Asie. En décembre dernier, il a reçu le prestigieux Right Livelihood Award, une distinction suédoise souvent présentée comme l’« Alternative au prix Nobel ». Il a accordé l’interview ci-dessous à l’agence Ucanews le 3 février 2015. La traduction française est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.
Ucanews : Pensez-vous qu’une commission d’enquête menée par l’ONU doive être accueillie au Sri Lanka afin d’enquêter sur les crimes de guerre commis durant la guerre civile ?
Basil Fernando : Pour un gouvernement tel que celui qui était dirigé par l’ancien président Mahinda Rajapaksa, une telle commission onusienne ne pouvait être perçue que comme une menace. Pour un gouvernement démocratique, elle ne constitue pas une menace car, par définition, un régime démocratique travaille à améliorer son propre fonctionnement et fera en sorte de mettre en place de lui-même sa propre commission d’enquête. Si l’ONU engage une enquête, le but ultime est de faciliter la paix. Je ne vois donc pas cela comme une menace. J’y vois au contraire une étape extrêmement positive. Les mécanismes internationaux sont créés uniquement lorsque les mécanismes nationaux ne fonctionnent pas.
Le nouveau gouvernement a déjà annoncé qu’il ne se soumettrait pas au contrôle de l’ONU, mais mettrait en place un contrôle local pour enquêter sur les crimes de guerre. Comment réagissez-vous à cette annonce ?
Le gouvernement est en droit d’utiliser un mécanisme local pour mener l’enquête sur les crimes de guerre, mais il a aussi le devoir de dire à la communauté internationale ce qu’il fait. J’ai fait campagne pour que soit ouverte une enquête internationale. Une enquête de l’ONU contribuerait à garantir à la minorité [tamoule] que les choses sont menées dans le cadre d’un Etat de droit et dans le respect des procédures démocratiques, d’une manière qui assure le bien de la majorité comme celui de la minorité. Les interventions de l’ONU sont destinées à assurer le développement d’une démocratie durable pour le bénéfice de tous. Aucun gouvernement démocratique ne peut forcer les gens au silence quand des équipes onusiennes enquêtent sur un crime.
Le gouvernement doit-il chercher à démilitariser [la Province du] Nord ?
Sauf en cas de guerre, toute nation se doit d’être démilitarisée. Le gouvernement ne devrait utiliser l’outil militaire qu’à des fins pacifiques. Restaurez la loi et confiez à la police le maintien de l’ordre ! Ce ne sont pas les soldats qui se complaisent dans la guerre mais les politiciens, tout comme ceux qui profitent d’une situation de conflit. Nous pouvons garder une armée heureuse de faire son travail en la mettant au service d’actions visant à la paix. Traitons nos soldats avec humanité et donnons-leur les moyens de se refaire une santé mentale et émotionnelle.
Que doit faire le gouvernement pour lutter contre les violences commises par les moines bouddhistes radicaux et leurs partisans ?
L’organisation Bodu Bala Sena n’est pas née d’un quelconque sentiment religieux, mais d’une initiative politique soutenue par certaines sections de l’ancien gouvernement et du renseignement militaire. Nous sommes donc en présence d’un problème plus complexe que celui qui aurait vu des gens se joindre à une organisation religieuse issue d’un sentiment éprouvé par la population Aucune action n’a été prise pour contrer ces activités violentes. Les policiers et les fonctionnaires du gouvernement ont peur de s’acquitter des tâches qui sont pourtant les leurs.
Si nous disposions d’un système judiciaire fort, le fait qu’un religieux, un juge, un fonctionnaire, voire un ancien président ou un membre du nouveau gouvernement commette un crime ne serait pas trop grave. Mais, si le système judiciaire n’est pas en place, alors il faut s’attendre à ce que ce type de violence perdure.
C’est aux responsables religieux de se positionner, de se parler les uns aux autres, et de tenter de régler ces questions. Ils doivent essayer d’aider le pays à s’en sortir. C’est là un point fondamental. Quand le pape [François] a abordé cette question récemment, il a dit que nous étions des partenaires qui devions contribuer au développement de ce pays. Nous devons maintenant mettre cela en pratique et nous tous, même les groupes minoritaires, nous devons nous impliquer. Agissons ensemble et faisons usage du temps présent pour impulser le changement.
En-dehors des mécanismes juridiques au niveau des tribunaux, qu’en est-il du respect du droit ? Pourquoi l’utilisation de la torture par la police pour interroger les suspects est-elle si répandue au Sri Lanka ?
Dans chaque poste de police du Sri Lanka, les investigations sont menées en recourant à la torture. Je ne jette pas la pierre aux policiers qui font cela, parce qu’ils n’ont tout simplement pas appris à faire autrement. Nous ne disposons pas d’un système d’enquête criminelle digne de ce nom et c’est ce qui explique l’utilisation généralisée de la torture.
La torture est très répandue dans la plupart des pays en voie de développement parce que leurs mécanismes d’enquête criminelle sont peu élaborés. En Asie du Sud, le Sri Lanka et le Bangladesh détiennent la palme du recours généralisé à la torture. Au Pakistan et en Inde, la torture existe mais il y a des contrôles.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur la question de l’usage de la torture par la police ?
Je suis né au Sri Lanka et c’est durant mon enfance que j’ai vu la police commencer à torturer. Plus tard, lorsque je suis devenu avocat, j’ai été régulièrement confronté à ce phénomène. Nous avons des obligations sociales. Quel est le sens de notre vie si nous ne nous coltinons pas à certaines obligations sociales ? J’ai réagi quand j’ai été témoin du mal à l’œuvre dans mon pays.
Quelles politiques doivent être mises en œuvre pour obtenir que la police mène les enquêtes d’une manière appropriée ?
Envoyer les policiers dans des écoles de formation à l’investigation. Tous les pays ont changé leurs mécanismes d’enquête mais nous, nous continuons à suivre des méthodes mises en place au XIXe siècle. Le gouvernement devrait confier les postes de direction à ceux qui sont instruits et les envoyer étudier les nouvelles techniques d’enquête à l’étranger.
En ce moment, nous travaillons à renforcer notre soutien notamment dans le domaine de la réforme de la police au Sri Lanka. Nous aimerions que la police devienne une force de maintien de l’ordre dotée d’une meilleure éthique – ce qui ferait d’elle la première pierre d’un système judiciaire en voie d’amélioration. Je crois qu’en six mois, nous pouvons réformer et réduire la corruption dans le pays.
Pourquoi êtes-vous resté éloigné du Sri Lanka durant tant d’années ?
En 1989, mon nom a été inscrit sur une liste de personnes à éliminer et j’en ai été informé par un officier en charge de l’unité anti-terroriste de Peliyagoda, à Colombo. Il m’a dit que quelqu’un était venu et avait inscrit mon nom sur la liste des terroristes. J’étais un avocat engagé à cette époque et je faisais le travail que d’autres avocats ne voulaient pas faire. J’ai eu des problèmes, aussi bien avec la police qu’avec des avocats.
Une fois parti, j’ai aussi reçu un message me disant que si je revenais au pays, je pourrais être arrêté. C’est ensuite que j’ai commencé à jouer un rôle actif dans le domaine des droits de l’homme et que j’ai commencé à parler, à écrire pour témoigner des violations commises dans mon pays. J’ai réalisé que je pouvais en faire plus en étant à l’extérieur du pays. J’ai beaucoup appris sur le monde et la démocratie. J’ai vécu dans un pays [à Hongkong] où la démocratie et l’Etat de droit [à l’époque] étaient une réalité et où la corruption avait été combattue avec succès.
Qu’est-ce qui vous a décidé à revenir ?
Très franchement, la défaite de Mahinda Rajapaksa et de son régime, ainsi que le démantèlement de la structure mise en place par [son frère et ancien secrétaire à la Défense] Gotabaya Rajapaksa. Escadrons de la mort, arrestations arbitraires ; tout ce système était maintenu en vie par lui. Je sais bien que nous ne sommes pas arrivés tout d’un coup au paradis, mais le retour à une vie normale est désormais possible. Je veux appuyer le côté positif du programme du nouveau gouvernement et, dans la modeste mesure de mes moyens, j’aimerai y jouer un rôle actif.
A votre avis, que devrait mettre en avant le gouvernement pour instaurer une paix durable non seulement entre Cinghalais et Tamouls, mais aussi entre les communautés religieuses ?
La réconciliation est impossible sans un retour à l’Etat de droit. Beaucoup de gens qui parlent de réconciliation ne pensent qu’à la manière de faire communauté ensemble, à la façon d’amener Tamouls et Cinghalais à vivre ensemble ou les communautés religieuses à cohabiter ensemble, mais ce qui est nécessaire pour que la réconciliation advienne, c’est de créer un cadre fonctionnel permettant le fonctionnement de l’Etat de droit. C’est impossible si nous ne ressuscitons pas un système civil et une police efficaces. Le gouvernement doit porter en priorité ses efforts et ses moyens sur l’amélioration du système judiciaire, en particulier sur la police afin que les enquêteurs deviennent de meilleurs policiers. Aucun système judiciaire ne peut fonctionner si les enquêteurs ne font pas un bon travail.
A mon avis, le premier acte de la réconciliation doit donc être un investissement sérieux dans l’Etat de droit de manière à créer un environnement où les gens pourront résoudre leurs problèmes. La réconciliation n’est pas une action menée par quelques ONG, quelques dirigeants ou intellectuels. C’est une action impliquant chaque citoyen. Afin d’éviter les ennuis et de recevoir justice pour les êtres chers qui ont disparu, un mécanisme de protection des requérants en justice doit être mis en place. La protection incombe aux civils et la police. Ce n’est qu’ensuite que les gens pourront se sentir libres de poser des questions sur leurs proches et sur ce qui leur est arrivé. (eda/ra)
(Source: Eglises d'Asie, le 3 février 2015)
Près d’un mois après la défaite de Mahinda Rajapaksa lors des élections présidentielles du 8 janvier, les attentes envers le nouveau président, Maithripala Sirisena, demeurent très fortes. Si l’atmosphère a changé dans le pays – les gens ont retrouvé leur liberté de parole – et si les Sri-Lankais sont prêts à faire confiance à leur nouveau président pour restaurer l’Etat de droit et veiller au respect des libertés fondamentales, tout reste encore à faire pour à la fois renforcer les institutions démocratiques et apporter une réponse aux revendications des différentes composantes ethniques et religieuses de la société sri-lankaise. Six ans après la fin de la guerre civile, les blessures nées de ce conflit sont toujours béantes. On estime à 100 000 le nombre des civils morts pendant la guerre entre les forces gouvernementales et les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE). Les tensions entre la majorité cinghalaise et la minorité tamoule sont latentes.
Basil Fernando dirige depuis plus de vingt ans l’Asian Human Rights Watch Commission, organisation de défense des droits de l’homme en Asie. Fondée en 1986, basée à Hongkong, cette ONG indépendante (à ne pas confondre avec la section Asie de l’ONG américaine Human Rights Watch) publie des « Urgent Appeals » afin d’attirer l’attention de l’opinion publique internationale sur telle ou telle personne en danger ou situation problématique au regard de la défense des droits de l’homme.
Né en 1944, cinghalais, avocat de formation, Basil Fernando a dû quitter son pays en 1989 après avoir dénoncé la corruption prévalant dans le système judiciaire du Sri Lanka. Visé par des menaces de mort, il a trouvé refuge à Hongkong, d’où il est devenu une voix écoutée en Asie. En décembre dernier, il a reçu le prestigieux Right Livelihood Award, une distinction suédoise souvent présentée comme l’« Alternative au prix Nobel ». Il a accordé l’interview ci-dessous à l’agence Ucanews le 3 février 2015. La traduction française est de la Rédaction d’Eglises d’Asie.
Ucanews : Pensez-vous qu’une commission d’enquête menée par l’ONU doive être accueillie au Sri Lanka afin d’enquêter sur les crimes de guerre commis durant la guerre civile ?
Basil Fernando : Pour un gouvernement tel que celui qui était dirigé par l’ancien président Mahinda Rajapaksa, une telle commission onusienne ne pouvait être perçue que comme une menace. Pour un gouvernement démocratique, elle ne constitue pas une menace car, par définition, un régime démocratique travaille à améliorer son propre fonctionnement et fera en sorte de mettre en place de lui-même sa propre commission d’enquête. Si l’ONU engage une enquête, le but ultime est de faciliter la paix. Je ne vois donc pas cela comme une menace. J’y vois au contraire une étape extrêmement positive. Les mécanismes internationaux sont créés uniquement lorsque les mécanismes nationaux ne fonctionnent pas.
Le nouveau gouvernement a déjà annoncé qu’il ne se soumettrait pas au contrôle de l’ONU, mais mettrait en place un contrôle local pour enquêter sur les crimes de guerre. Comment réagissez-vous à cette annonce ?
Le gouvernement est en droit d’utiliser un mécanisme local pour mener l’enquête sur les crimes de guerre, mais il a aussi le devoir de dire à la communauté internationale ce qu’il fait. J’ai fait campagne pour que soit ouverte une enquête internationale. Une enquête de l’ONU contribuerait à garantir à la minorité [tamoule] que les choses sont menées dans le cadre d’un Etat de droit et dans le respect des procédures démocratiques, d’une manière qui assure le bien de la majorité comme celui de la minorité. Les interventions de l’ONU sont destinées à assurer le développement d’une démocratie durable pour le bénéfice de tous. Aucun gouvernement démocratique ne peut forcer les gens au silence quand des équipes onusiennes enquêtent sur un crime.
Le gouvernement doit-il chercher à démilitariser [la Province du] Nord ?
Sauf en cas de guerre, toute nation se doit d’être démilitarisée. Le gouvernement ne devrait utiliser l’outil militaire qu’à des fins pacifiques. Restaurez la loi et confiez à la police le maintien de l’ordre ! Ce ne sont pas les soldats qui se complaisent dans la guerre mais les politiciens, tout comme ceux qui profitent d’une situation de conflit. Nous pouvons garder une armée heureuse de faire son travail en la mettant au service d’actions visant à la paix. Traitons nos soldats avec humanité et donnons-leur les moyens de se refaire une santé mentale et émotionnelle.
Que doit faire le gouvernement pour lutter contre les violences commises par les moines bouddhistes radicaux et leurs partisans ?
L’organisation Bodu Bala Sena n’est pas née d’un quelconque sentiment religieux, mais d’une initiative politique soutenue par certaines sections de l’ancien gouvernement et du renseignement militaire. Nous sommes donc en présence d’un problème plus complexe que celui qui aurait vu des gens se joindre à une organisation religieuse issue d’un sentiment éprouvé par la population Aucune action n’a été prise pour contrer ces activités violentes. Les policiers et les fonctionnaires du gouvernement ont peur de s’acquitter des tâches qui sont pourtant les leurs.
Si nous disposions d’un système judiciaire fort, le fait qu’un religieux, un juge, un fonctionnaire, voire un ancien président ou un membre du nouveau gouvernement commette un crime ne serait pas trop grave. Mais, si le système judiciaire n’est pas en place, alors il faut s’attendre à ce que ce type de violence perdure.
C’est aux responsables religieux de se positionner, de se parler les uns aux autres, et de tenter de régler ces questions. Ils doivent essayer d’aider le pays à s’en sortir. C’est là un point fondamental. Quand le pape [François] a abordé cette question récemment, il a dit que nous étions des partenaires qui devions contribuer au développement de ce pays. Nous devons maintenant mettre cela en pratique et nous tous, même les groupes minoritaires, nous devons nous impliquer. Agissons ensemble et faisons usage du temps présent pour impulser le changement.
En-dehors des mécanismes juridiques au niveau des tribunaux, qu’en est-il du respect du droit ? Pourquoi l’utilisation de la torture par la police pour interroger les suspects est-elle si répandue au Sri Lanka ?
Dans chaque poste de police du Sri Lanka, les investigations sont menées en recourant à la torture. Je ne jette pas la pierre aux policiers qui font cela, parce qu’ils n’ont tout simplement pas appris à faire autrement. Nous ne disposons pas d’un système d’enquête criminelle digne de ce nom et c’est ce qui explique l’utilisation généralisée de la torture.
La torture est très répandue dans la plupart des pays en voie de développement parce que leurs mécanismes d’enquête criminelle sont peu élaborés. En Asie du Sud, le Sri Lanka et le Bangladesh détiennent la palme du recours généralisé à la torture. Au Pakistan et en Inde, la torture existe mais il y a des contrôles.
Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur la question de l’usage de la torture par la police ?
Je suis né au Sri Lanka et c’est durant mon enfance que j’ai vu la police commencer à torturer. Plus tard, lorsque je suis devenu avocat, j’ai été régulièrement confronté à ce phénomène. Nous avons des obligations sociales. Quel est le sens de notre vie si nous ne nous coltinons pas à certaines obligations sociales ? J’ai réagi quand j’ai été témoin du mal à l’œuvre dans mon pays.
Quelles politiques doivent être mises en œuvre pour obtenir que la police mène les enquêtes d’une manière appropriée ?
Envoyer les policiers dans des écoles de formation à l’investigation. Tous les pays ont changé leurs mécanismes d’enquête mais nous, nous continuons à suivre des méthodes mises en place au XIXe siècle. Le gouvernement devrait confier les postes de direction à ceux qui sont instruits et les envoyer étudier les nouvelles techniques d’enquête à l’étranger.
En ce moment, nous travaillons à renforcer notre soutien notamment dans le domaine de la réforme de la police au Sri Lanka. Nous aimerions que la police devienne une force de maintien de l’ordre dotée d’une meilleure éthique – ce qui ferait d’elle la première pierre d’un système judiciaire en voie d’amélioration. Je crois qu’en six mois, nous pouvons réformer et réduire la corruption dans le pays.
Pourquoi êtes-vous resté éloigné du Sri Lanka durant tant d’années ?
En 1989, mon nom a été inscrit sur une liste de personnes à éliminer et j’en ai été informé par un officier en charge de l’unité anti-terroriste de Peliyagoda, à Colombo. Il m’a dit que quelqu’un était venu et avait inscrit mon nom sur la liste des terroristes. J’étais un avocat engagé à cette époque et je faisais le travail que d’autres avocats ne voulaient pas faire. J’ai eu des problèmes, aussi bien avec la police qu’avec des avocats.
Une fois parti, j’ai aussi reçu un message me disant que si je revenais au pays, je pourrais être arrêté. C’est ensuite que j’ai commencé à jouer un rôle actif dans le domaine des droits de l’homme et que j’ai commencé à parler, à écrire pour témoigner des violations commises dans mon pays. J’ai réalisé que je pouvais en faire plus en étant à l’extérieur du pays. J’ai beaucoup appris sur le monde et la démocratie. J’ai vécu dans un pays [à Hongkong] où la démocratie et l’Etat de droit [à l’époque] étaient une réalité et où la corruption avait été combattue avec succès.
Qu’est-ce qui vous a décidé à revenir ?
Très franchement, la défaite de Mahinda Rajapaksa et de son régime, ainsi que le démantèlement de la structure mise en place par [son frère et ancien secrétaire à la Défense] Gotabaya Rajapaksa. Escadrons de la mort, arrestations arbitraires ; tout ce système était maintenu en vie par lui. Je sais bien que nous ne sommes pas arrivés tout d’un coup au paradis, mais le retour à une vie normale est désormais possible. Je veux appuyer le côté positif du programme du nouveau gouvernement et, dans la modeste mesure de mes moyens, j’aimerai y jouer un rôle actif.
A votre avis, que devrait mettre en avant le gouvernement pour instaurer une paix durable non seulement entre Cinghalais et Tamouls, mais aussi entre les communautés religieuses ?
La réconciliation est impossible sans un retour à l’Etat de droit. Beaucoup de gens qui parlent de réconciliation ne pensent qu’à la manière de faire communauté ensemble, à la façon d’amener Tamouls et Cinghalais à vivre ensemble ou les communautés religieuses à cohabiter ensemble, mais ce qui est nécessaire pour que la réconciliation advienne, c’est de créer un cadre fonctionnel permettant le fonctionnement de l’Etat de droit. C’est impossible si nous ne ressuscitons pas un système civil et une police efficaces. Le gouvernement doit porter en priorité ses efforts et ses moyens sur l’amélioration du système judiciaire, en particulier sur la police afin que les enquêteurs deviennent de meilleurs policiers. Aucun système judiciaire ne peut fonctionner si les enquêteurs ne font pas un bon travail.
A mon avis, le premier acte de la réconciliation doit donc être un investissement sérieux dans l’Etat de droit de manière à créer un environnement où les gens pourront résoudre leurs problèmes. La réconciliation n’est pas une action menée par quelques ONG, quelques dirigeants ou intellectuels. C’est une action impliquant chaque citoyen. Afin d’éviter les ennuis et de recevoir justice pour les êtres chers qui ont disparu, un mécanisme de protection des requérants en justice doit être mis en place. La protection incombe aux civils et la police. Ce n’est qu’ensuite que les gens pourront se sentir libres de poser des questions sur leurs proches et sur ce qui leur est arrivé. (eda/ra)
(Source: Eglises d'Asie, le 3 février 2015)