La province de Hung Yên, qui borde l’agglomération de Hanoi, abrite dans ses plaines fertiles une population composée presque exclusivement de petits propriétaires agricoles (1). Sur l’un de ses huit districts, celui de Van Giang, situé à 60 km de la capitale, vient de se jouer le 24 avril, le dernier acte d’une tragédie qui aura mis près de huit ans pour arriver à son dénouement : l’expropriation par la force de 71 ha de champs et de rizières appartenant à 166 foyers de la commune de Xuân Quang.
Trois mille policiers et membres des forces de l’ordre lourdement équipés ont participé à cette opération. La population paysanne, opposée au projet gouvernemental depuis le début, a résisté jusqu’à la dernière minute. Voilà plusieurs années que les expropriations des terres arables par les autorités locales sont devenues monnaie courante au nord comme au sud du pays et l’on ne compte plus les conflits et les troubles qu’elles ont engendrés. Mais c’est sans doute la première fois qu’un conflit d’une telle ampleur oppose le pouvoir au monde rural, lequel représente encore plus de 70 % de la population du pays. La presse officielle est restée très discrète sur ces événements. Seuls les sites indépendants et les blogs ont fourni des informations sur l’opération policière.
Le 23 avril 2012, les autorités provinciales ont fait annoncer que l’opération d’expropriation de 71 ha appartenant à 166 foyers de la commune de Xuân Quan aurait lieu le lendemain. Selon des informations recueillies par Radio Free Asia, dès le milieu de la nuit du 23 au 24 avril, entre 700 et 1 000 paysans de Xuân Quangi et des autres communes concernées par les expropriations s’étaient rassemblés dans les champs et les rizières avec la ferme intention de ne pas se laisser dépouiller. Les forces de l’ordre, armées de fusils et de grenades lacrymogènes, étaient elles aussi arrivées de très bonne heure. Les rapports diffusés sur Internet ont estimé leurs effectifs à 3 ou 4 000 hommes. En fin de journée, les forces gouvernementales ont réussi à venir à bout de la résistance paysanne. Le détail des échauffourées est encore mal connu. Au soir de l’opération, on parlait de 19 paysans arrêtés. Quatre d’entre eux étaient encore internés dans les jours qui ont suivi. Un communiqué de la Sécurité publique estimait que les forces de l’ordre avaient mené à bien leur mission.
Il n’y a guère eu de concertation entre les deux parties en présence. Le 10 avril précédent, les autorités avaient convoqué les représentants des 166 foyers concernés pour une session de « dialogue ». Plusieurs milliers de paysans du district les avaient accompagnés. En réalité, les représentants des autorités s’étaient contentés d’exposer à nouveau leur projet. La rencontre s’était soldée par un échec.
Le coup de force gouvernemental du 24 avril marque la fin tragique d’une résistance de douze années, opposée par les paysans à un projet d’urbanisation gouvernemental. Le projet de création d’une zone urbaine sur des terres agricoles avait en effet rencontré une forte opposition dès 2004, date à partir de laquelle il commença à être connu. Le projet appelé « Ecopark » a été conçu et décidé au plus haut niveau. Le Premier ministre lui-même, Nguyên Tân Dung, le 30 juin 2004, a signé la décision 742 qui l’officialisait.
Le projet prévoit la création d’une zone urbaine (sorte de ville-satellite) en pleine région rurale, sur le territoire de trois communes du district de Van Giang, dans la province de Hung Yên. Pour récupérer les 500 ha de terrains nécessaires à la construction d’immeubles et à la création d’une route, les autorités locales devront exproprier 4 000 foyers de cultivateurs. Plus de 1 800 d’entre eux ont refusé que l’on touche à leurs terres, et ont rejeté l’indemnisation proposée. Cette dernière varie entre 19 000 et 54 000 dongs au mètre carré, dont on sait qu’il sera proposé à la vente par l’investisseur à quelque six millions de dongs (un euro vaut 27 300 dongs).
Pendant un certain temps, le projet d’Ecopark semblait avoir été mis en sommeil. Cependant, en 2007 une note officielle du gouvernement en avait relancé la mise en œuvre. La résistance des paysans s’est alors organisée. Les communes concernées, Xuân Quang, Phụng Công et Cuu Cao, ont commencé à déposer des plaintes remettant en cause la légalité de la confiscation des terres, adressées aux instances dirigeantes de tous les échelons, depuis les comités populaires des communes jusqu’au gouvernement. Les conflits avec les autorités locales tout comme les heurts avec les agents de la Sécurité publique se sont multipliés. Des manifestations ont été organisées jusque dans la capitale – notamment le 27 avril 2011 –, qui ont été très largement relayées par les agences de presse internationales. Aucune solution n’a jamais été proposée en réponse aux requêtes des paysans de Van Giang.
La plupart des commentateurs indépendants mettent en cause le statut actuel de la propriété des terres au Vietnam, lesquelles appartiennent au peuple tout entier, c’est-à-dire à l’Etat. Les individus n’en sont que les utilisateurs.
Ce principe de propriété collective avait déjà été critiqué par l’épiscopat vietnamien lors de l’affaire de la Délégation apostolique en 2008. Traitant de ce problème dans le document intitulé « Point de vue de la Conférence épiscopale sur un certain nombre de problèmes posés par la situation actuelle », publié le 25 septembre 2008 à l’issue de leur assemblée annuelle, les évêques du Vietnam n’avaient pas dissocié la question des terrains religieux accaparés par l’Etat de celle des autres terres ayant subi le même sort. Ils avaient recommandé de rétablir le droit à la propriété privée, rappelant que celui-ci faisait partie des droits fondamentaux de l’être humain.
(1) Le mot « propriétaire » doit être pris ici dans un sens particulier. En effet au Vietnam, la terre est la propriété collective du peuple tout entier. Il y a donc pas de gros ou petits propriétaires, mais seulement des utilisateurs de terrain, qui peuvent cependant vendre, acheter ou léguer ce droit d’exploitation.
(Source:Eglises d'Asie, 4 mai 2012)
Projet de la future cité-écologique Ecopark |
Le 23 avril 2012, les autorités provinciales ont fait annoncer que l’opération d’expropriation de 71 ha appartenant à 166 foyers de la commune de Xuân Quan aurait lieu le lendemain. Selon des informations recueillies par Radio Free Asia, dès le milieu de la nuit du 23 au 24 avril, entre 700 et 1 000 paysans de Xuân Quangi et des autres communes concernées par les expropriations s’étaient rassemblés dans les champs et les rizières avec la ferme intention de ne pas se laisser dépouiller. Les forces de l’ordre, armées de fusils et de grenades lacrymogènes, étaient elles aussi arrivées de très bonne heure. Les rapports diffusés sur Internet ont estimé leurs effectifs à 3 ou 4 000 hommes. En fin de journée, les forces gouvernementales ont réussi à venir à bout de la résistance paysanne. Le détail des échauffourées est encore mal connu. Au soir de l’opération, on parlait de 19 paysans arrêtés. Quatre d’entre eux étaient encore internés dans les jours qui ont suivi. Un communiqué de la Sécurité publique estimait que les forces de l’ordre avaient mené à bien leur mission.
Il n’y a guère eu de concertation entre les deux parties en présence. Le 10 avril précédent, les autorités avaient convoqué les représentants des 166 foyers concernés pour une session de « dialogue ». Plusieurs milliers de paysans du district les avaient accompagnés. En réalité, les représentants des autorités s’étaient contentés d’exposer à nouveau leur projet. La rencontre s’était soldée par un échec.
Le coup de force gouvernemental du 24 avril marque la fin tragique d’une résistance de douze années, opposée par les paysans à un projet d’urbanisation gouvernemental. Le projet de création d’une zone urbaine sur des terres agricoles avait en effet rencontré une forte opposition dès 2004, date à partir de laquelle il commença à être connu. Le projet appelé « Ecopark » a été conçu et décidé au plus haut niveau. Le Premier ministre lui-même, Nguyên Tân Dung, le 30 juin 2004, a signé la décision 742 qui l’officialisait.
Le projet prévoit la création d’une zone urbaine (sorte de ville-satellite) en pleine région rurale, sur le territoire de trois communes du district de Van Giang, dans la province de Hung Yên. Pour récupérer les 500 ha de terrains nécessaires à la construction d’immeubles et à la création d’une route, les autorités locales devront exproprier 4 000 foyers de cultivateurs. Plus de 1 800 d’entre eux ont refusé que l’on touche à leurs terres, et ont rejeté l’indemnisation proposée. Cette dernière varie entre 19 000 et 54 000 dongs au mètre carré, dont on sait qu’il sera proposé à la vente par l’investisseur à quelque six millions de dongs (un euro vaut 27 300 dongs).
Pendant un certain temps, le projet d’Ecopark semblait avoir été mis en sommeil. Cependant, en 2007 une note officielle du gouvernement en avait relancé la mise en œuvre. La résistance des paysans s’est alors organisée. Les communes concernées, Xuân Quang, Phụng Công et Cuu Cao, ont commencé à déposer des plaintes remettant en cause la légalité de la confiscation des terres, adressées aux instances dirigeantes de tous les échelons, depuis les comités populaires des communes jusqu’au gouvernement. Les conflits avec les autorités locales tout comme les heurts avec les agents de la Sécurité publique se sont multipliés. Des manifestations ont été organisées jusque dans la capitale – notamment le 27 avril 2011 –, qui ont été très largement relayées par les agences de presse internationales. Aucune solution n’a jamais été proposée en réponse aux requêtes des paysans de Van Giang.
La plupart des commentateurs indépendants mettent en cause le statut actuel de la propriété des terres au Vietnam, lesquelles appartiennent au peuple tout entier, c’est-à-dire à l’Etat. Les individus n’en sont que les utilisateurs.
Ce principe de propriété collective avait déjà été critiqué par l’épiscopat vietnamien lors de l’affaire de la Délégation apostolique en 2008. Traitant de ce problème dans le document intitulé « Point de vue de la Conférence épiscopale sur un certain nombre de problèmes posés par la situation actuelle », publié le 25 septembre 2008 à l’issue de leur assemblée annuelle, les évêques du Vietnam n’avaient pas dissocié la question des terrains religieux accaparés par l’Etat de celle des autres terres ayant subi le même sort. Ils avaient recommandé de rétablir le droit à la propriété privée, rappelant que celui-ci faisait partie des droits fondamentaux de l’être humain.
(1) Le mot « propriétaire » doit être pris ici dans un sens particulier. En effet au Vietnam, la terre est la propriété collective du peuple tout entier. Il y a donc pas de gros ou petits propriétaires, mais seulement des utilisateurs de terrain, qui peuvent cependant vendre, acheter ou léguer ce droit d’exploitation.
(Source:Eglises d'Asie, 4 mai 2012)