Le 21 septembre dernier, Journée internationale de la paix, le diocèse catholique de Jammu-Srinagar, Caritas India et les écoles catholiques de la région se sont mobilisés pour la paix, dans cette région minée par une escalade des violences depuis la mort, le 8 juillet dernier, de Muzaffar Wani, jeune chef charismatique d’un groupe séparatiste cachemiri, tué par des militaires indiens.
Alors que d’importantes manifestations violemment réprimées par l’armée indienne ont fait près de 80 morts et des milliers de blessés, un attentat, le 18 septembre dernier, a tué 18 soldats indiens à la base militaire d’Uri, sur la ligne de contrôle entre l’Inde et le Pakistan, créant un regain de tensions dans la région. Pour l’armée indienne, cet attentat a été perpétré par le groupe djihadiste Jaish-e-Mohammed, basé au Pakistan, que le ministre indien de la Défense a qualifié « d’Etat terroriste ».
Clubs pour la paix et veillées de prière
Pourtant, malgré ce climat de guerre larvée, des centaines de jeunes ont réussi à participer à une journée de prière commune, organisée par l’Eglise catholique, ce 21 septembre. « Nous prions pour la paix et le retour à une vie normale », a confié le P. Mathew, curé de la paroisse de la Sainte-Famille, à Srinagar, la capitale d’été de l’Etat. « Alors que l’Etat indien a annoncé vouloir déployer 4 000 troupes supplémentaires dans la région, l’Eglise catholique veut appréhender le conflit en favorisant le dialogue », a-t-il expliqué. Selon le P. Shaiju Chacko, porte-parole du diocèse catholique de Jammu-Srinagar, des veillées de prières pour la paix, en hommage aux victimes du conflit, ont été organisées dans toutes les paroisses du diocèse.
Des centaines d’étudiants de différentes régions du Jammu-et-Cachemire ont également lancé le programme « Maitri Abhiyan » (‘amitié’), des clubs pour la paix rassemblant une trentaine d’étudiants prêts à s’investir quotidiennement dans la diffusion d’un message de paix , d’unité et de solidarité, a précisé le P. Chacko.
Une région paralysée et sous tension
Depuis près de quatre-vingts jours, un couvre-feu paralyse en effet le quotidien des habitants de cet Etat enclavé entre l’Inde, le Pakistan et la Chine. Les réseaux Internet et de téléphonie mobile ont été coupés, afin d’affaiblir la capacité de rassemblement des jeunes séparatistes, très présents sur les réseaux sociaux. La plupart des écoles, des commerces et des administrations publiques sont fermées depuis trois mois, alors que les groupes séparatistes appellent toujours à la grève et aux manifestations, et que ces protestations, qui sont réprimées dans la violence, ont tué des dizaines de personnes et blessé de nombreux manifestants. « Beaucoup de personnes tuées ou blessées sont très jeunes », déplore le P. Mathew. « Nos prières et notre compassion s’adressent également à tous ces enfants innocents qui ont été mutilés ou sont sur le point de perdre la vue, du fait des tirs de billes à plomb », ajoute-t-il. Plus de 300 personnes auraient ainsi perdu la vue du fait de l’utilisation par les forces armées de carabines à plomb.
Un conflit ancien et complexe
Le Jammu-et-Cachemire, seul Etat à majorité musulmane de l’Union indienne, avec 68,3 % de musulmans (1), est, depuis plus de soixante ans, le théâtre de troubles incessants entre l’armée et les séparatistes musulmans, revendiquant leur rattachement au Pakistan. Ces vingt dernières années, le conflit a provoqué la mort de plus de 80 000 personnes et l’exil de milliers d’hindous, malgré un processus de paix entamé avec le Pakistan en 2004. Dans cette vallée de l’Himalaya administrée par l’Inde, où quelque 70 000 soldats sont déployés, une loi, votée en 1990, protège les soldats et les policiers de toute poursuite judiciaire pour les exactions commises en zone de troubles, ce qui leur confère une large impunité, et les accusations de viol, d’assassinat et de saisie de biens à leur encontre sont régulières.
Pour Dibyesh Anand, professeur de relations internationales à l’Université de Westminster, à Londres, et spécialiste du Cachemire indien, « le conflit au Cachemire est utilisé pour alimenter le nationalisme indien. Quand quelqu’un est tué, les médias indiens s’en emparent afin d’en faire un problème national. De cette façon, ils déshumanisent les Cachemiris en les représentant comme violents ». Du côté pakistanais, on cherche à décrédibiliser internationalement l’Inde, en évoquant le sort des Cachemiris, victimes de « la répression du gouvernement Modi ». Pour les médias occidentaux, l’Inde et le Pakistan sont des partenaires économiques privilégiés, notamment dans le domaine de l’armement, et « on préfère ignorer ce qui s’y passe », estime Dibyesh Anand.
L’accord signé le 23 septembre dernier entre le gouvernement indien et la France pour l’achat de 36 avions de combat Rafale est ainsi présenté par certains médias indiens, comme un moyen pour l’Inde de prouver au Pakistan, « sa supériorité aérienne », puisque New Delhi sera désormais capable d’attaquer des cibles en territoire pakistanais, sans violer l’espace aérien d’Islamabad. Pour d’autres médias, comme le Hindustan Times, plus modéré, l’escalade militaire n’est pas la solution, et le quotidien appelle plutôt à isoler le Pakistan sur la scène internationale. D’autres, comme l’Indian Express, brandissent la menace de couper l’eau potable au Pakistan, les deux pays se partageant le bassin de l’Indus, fleuve transfrontalier, où l’Inde, située en amont, jouit d’une position dominante sur son voisin pakistanais, où le bassin de l’Indus représente l’axe vital autour duquel s’organise la majeure partie de la vie du pays.
Pot de terre contre pot de fer
« La violence ne peut avoir comme réponse la violence. Nous devons redoubler d’énergie pour favoriser une solution diplomatique au plan international. Ces derniers temps, les violences se sont intensifiées et c’est une grande inquiétude pour notre pays », a pour sa part affirmé Mgr Theodore Mascarenhas, secrétaire général de la Conférence épiscopale catholique en Inde (CBCI), interrogé par l’agence Ucanews.
Le 29 août dernier, à New Delhi, une cinquantaine de responsables religieux, hindous, musulmans et chrétiens s’étaient rassemblés afin d’appeler le gouvernement indien à prendre des mesures pour que cesse le conflit au Cachemire indien « Nous devons comprendre les raisons exactes qui pousse la jeunesse cachemirie à la violence, que ce soit le chômage ou l’absence de perspectives d’avenir », a appelé Mgr Anil Couto, archevêque de Delhi. « En tant que responsables religieux, nous avons le devoir de créer des ponts entre le gouvernement et les citoyens, afin d’apporter la paix à notre pays », a-t-il insisté. (eda/nfb)
(Source: Eglises d'Asie, le 28 septembre 2016)
Alors que d’importantes manifestations violemment réprimées par l’armée indienne ont fait près de 80 morts et des milliers de blessés, un attentat, le 18 septembre dernier, a tué 18 soldats indiens à la base militaire d’Uri, sur la ligne de contrôle entre l’Inde et le Pakistan, créant un regain de tensions dans la région. Pour l’armée indienne, cet attentat a été perpétré par le groupe djihadiste Jaish-e-Mohammed, basé au Pakistan, que le ministre indien de la Défense a qualifié « d’Etat terroriste ».
Clubs pour la paix et veillées de prière
Pourtant, malgré ce climat de guerre larvée, des centaines de jeunes ont réussi à participer à une journée de prière commune, organisée par l’Eglise catholique, ce 21 septembre. « Nous prions pour la paix et le retour à une vie normale », a confié le P. Mathew, curé de la paroisse de la Sainte-Famille, à Srinagar, la capitale d’été de l’Etat. « Alors que l’Etat indien a annoncé vouloir déployer 4 000 troupes supplémentaires dans la région, l’Eglise catholique veut appréhender le conflit en favorisant le dialogue », a-t-il expliqué. Selon le P. Shaiju Chacko, porte-parole du diocèse catholique de Jammu-Srinagar, des veillées de prières pour la paix, en hommage aux victimes du conflit, ont été organisées dans toutes les paroisses du diocèse.
Des centaines d’étudiants de différentes régions du Jammu-et-Cachemire ont également lancé le programme « Maitri Abhiyan » (‘amitié’), des clubs pour la paix rassemblant une trentaine d’étudiants prêts à s’investir quotidiennement dans la diffusion d’un message de paix , d’unité et de solidarité, a précisé le P. Chacko.
Une région paralysée et sous tension
Depuis près de quatre-vingts jours, un couvre-feu paralyse en effet le quotidien des habitants de cet Etat enclavé entre l’Inde, le Pakistan et la Chine. Les réseaux Internet et de téléphonie mobile ont été coupés, afin d’affaiblir la capacité de rassemblement des jeunes séparatistes, très présents sur les réseaux sociaux. La plupart des écoles, des commerces et des administrations publiques sont fermées depuis trois mois, alors que les groupes séparatistes appellent toujours à la grève et aux manifestations, et que ces protestations, qui sont réprimées dans la violence, ont tué des dizaines de personnes et blessé de nombreux manifestants. « Beaucoup de personnes tuées ou blessées sont très jeunes », déplore le P. Mathew. « Nos prières et notre compassion s’adressent également à tous ces enfants innocents qui ont été mutilés ou sont sur le point de perdre la vue, du fait des tirs de billes à plomb », ajoute-t-il. Plus de 300 personnes auraient ainsi perdu la vue du fait de l’utilisation par les forces armées de carabines à plomb.
Un conflit ancien et complexe
Le Jammu-et-Cachemire, seul Etat à majorité musulmane de l’Union indienne, avec 68,3 % de musulmans (1), est, depuis plus de soixante ans, le théâtre de troubles incessants entre l’armée et les séparatistes musulmans, revendiquant leur rattachement au Pakistan. Ces vingt dernières années, le conflit a provoqué la mort de plus de 80 000 personnes et l’exil de milliers d’hindous, malgré un processus de paix entamé avec le Pakistan en 2004. Dans cette vallée de l’Himalaya administrée par l’Inde, où quelque 70 000 soldats sont déployés, une loi, votée en 1990, protège les soldats et les policiers de toute poursuite judiciaire pour les exactions commises en zone de troubles, ce qui leur confère une large impunité, et les accusations de viol, d’assassinat et de saisie de biens à leur encontre sont régulières.
Pour Dibyesh Anand, professeur de relations internationales à l’Université de Westminster, à Londres, et spécialiste du Cachemire indien, « le conflit au Cachemire est utilisé pour alimenter le nationalisme indien. Quand quelqu’un est tué, les médias indiens s’en emparent afin d’en faire un problème national. De cette façon, ils déshumanisent les Cachemiris en les représentant comme violents ». Du côté pakistanais, on cherche à décrédibiliser internationalement l’Inde, en évoquant le sort des Cachemiris, victimes de « la répression du gouvernement Modi ». Pour les médias occidentaux, l’Inde et le Pakistan sont des partenaires économiques privilégiés, notamment dans le domaine de l’armement, et « on préfère ignorer ce qui s’y passe », estime Dibyesh Anand.
L’accord signé le 23 septembre dernier entre le gouvernement indien et la France pour l’achat de 36 avions de combat Rafale est ainsi présenté par certains médias indiens, comme un moyen pour l’Inde de prouver au Pakistan, « sa supériorité aérienne », puisque New Delhi sera désormais capable d’attaquer des cibles en territoire pakistanais, sans violer l’espace aérien d’Islamabad. Pour d’autres médias, comme le Hindustan Times, plus modéré, l’escalade militaire n’est pas la solution, et le quotidien appelle plutôt à isoler le Pakistan sur la scène internationale. D’autres, comme l’Indian Express, brandissent la menace de couper l’eau potable au Pakistan, les deux pays se partageant le bassin de l’Indus, fleuve transfrontalier, où l’Inde, située en amont, jouit d’une position dominante sur son voisin pakistanais, où le bassin de l’Indus représente l’axe vital autour duquel s’organise la majeure partie de la vie du pays.
Pot de terre contre pot de fer
Le 29 août dernier, à New Delhi, une cinquantaine de responsables religieux, hindous, musulmans et chrétiens s’étaient rassemblés afin d’appeler le gouvernement indien à prendre des mesures pour que cesse le conflit au Cachemire indien « Nous devons comprendre les raisons exactes qui pousse la jeunesse cachemirie à la violence, que ce soit le chômage ou l’absence de perspectives d’avenir », a appelé Mgr Anil Couto, archevêque de Delhi. « En tant que responsables religieux, nous avons le devoir de créer des ponts entre le gouvernement et les citoyens, afin d’apporter la paix à notre pays », a-t-il insisté. (eda/nfb)
(Source: Eglises d'Asie, le 28 septembre 2016)