Le 12 avril, dans le district de Takengon, région située au centre de la province d’Aceh, Remita Sinaga, une protestante âgée de 60 ans, a reçu publiquement 28 coups de canne pour avoir violé le code pénal islamique. Jugée pour avoir vendu de l’alcool et condamnée par le tribunal islamique de Takengon, elle a également été contrainte à passer les 47 jours de la durée de son procès en détention. C’est la prochaine fois qu’une personne non musulmane subit une peine publique pour ne pas avoir respecté la charia, à Aceh.

Dans cette province de 4,7 millions d’habitants, située à la pointe nord de Sumatra et dotée d’un statut d’autonomie spéciale, le nouveau code pénal, entré en vigueur le 23 octobre 2015, prévoit que le Qanun Jinayat, le code pénal islamique, s’applique à tous les habitants de la province d’Aceh, y compris aux non-musulmans. Toutes les personnes ne respectant pas ce code sont donc passibles d’une peine de coups de cannes, pouvant varier entre 40 et 200 coups de bâtons ainsi qu’une amende variant entre 40 et 2 000 grammes d’or. Cette nouvelle législation concerne notamment « les délits » d’homosexualité, de vente d’alcool, de jeux d’argent, d’adultère, d’indécence, de harcèlement sexuel ou bien encore de viol.

Si 98 % de la population d’Aceh est musulmane et soumise aux lois de la charia, on compte néanmoins quelque 50 000 protestants et 3 000 catholiques, ainsi que quelques centaines d’hindous et de bouddhistes, qui aujourd’hui, se voient contraints d’appliquer ces lois islamiques sous peine de graves sanctions publiques.

Inquiétude des minorités chrétiennes

« Nous sommes très inquiets car le code pénal en vigueur à Aceh n’est pas conforme au code pénal national. Jusqu’à présent, nous avions compris que la charia n’était applicable qu’aux musulmans. Or, selon les informations recueillies auprès d’un fonctionnaire du tribunal, le Qanun Hukum Jinayat s’applique désormais à tous les habitants d’Aceh », a déclaré Betty Manurung, pasteure protestante à Batak, dans le district de Takengon.

« Djakarta a autorisé Aceh à instaurer la charia, mais en aucun cas à contraindre par la menace les autres religions à l’appliquer », a affirmé à l’agence Ucanews le P. Paulus Siswantoko, secrétaire général de la Commission ‘Justice, Paix’ et de la Pastorale des migrants de la Conférence des évêques catholiques d’Indonésie.

Ce n’est pourtant pas l’avis de certains chercheurs ou juristes musulmans de la province. Pour Saifuddin Bantasyam, juriste à l’Université Syiah Kuala de Banda Aceh, « il serait au contraire difficile et ennuyeux que la charia ne s’applique pas aux non-musulmans, surtout si leur comportement est considéré comme une violation des lois islamiques », a-t-il indiqué au Jakarta Post.

En septembre 2014, un amendement avait en effet été voté afin d’élargir l’application de la charia aux non-musulmans. Surpris en état d’infraction aux dispositions édictées par le Qanun Hukum Jinayat, ces derniers se voyaient alors proposer le choix d’être jugé soit par un tribunal de la charia, soit par une juridiction civile appliquant le Code pénal national. Si l’infraction en question n’était pas sanctionnée par le Code pénal national – ce qui est le cas, par exemple, pour les relations homosexuelles ou la vente d'alcool –, alors les personnes incriminées, fussent-elles non musulmanes, pouvaient être jugées selon les dispositions de la charia. Les lois avaient également été renforcées en réintégrant les peines de flagellation pour différentes infractions telles la consommation d’alcool, la « promiscuité » entre hommes et femmes en-dehors du mariage, ou bien encore les relations homosexuelles ; concernant l’adultère toutefois, la loi avait exclu la mise à mort par lapidation pour ne retenir qu’une peine de flagellation.

Un an et demi après, cette loi est belle et bien en vigueur. La première condamnation d’une personne non musulmane a été prononcée et appliquée, resserrant encore plus l’étau sur les minorités religieuses de la province.

(Source: Eglises d'Asie, le 19 avril 2016)