Dans le cadre de l’élaboration de la « loi sur les croyances et la religion », les responsables religieux au Vietnam avaient été sollicités pour faire part de leurs remarques et la Conférence épiscopale n'avait pas manqué de commenter les projets de loi communiqués. Mais depuis l'adoption de cette loi le 18 novembre dernier, la Conférence ne s’était pas exprimée à son sujet : c’est désormais chose faite. A l’occasion de la première session plénière de l’Assemblée nationale pour l’année 2017 (1), la Conférence épiscopale du Vietnam a adressé ses remarques, « sincères et franches », aux parlementaires, réunis à Hanoi du 22 mai au 21 juin.
Le 22 avril 2015, à la surprise générale, le Bureau gouvernemental des Affaires religieuses avait fait parvenir un projet de « loi sur les croyances et la religion » aux communautés religieuses du pays, un projet que la Conférence épiscopale avait alors vivement critiqué, dénonçant un recul par rapport à l’Ordonnance sur les croyances et la religion de 2004. Quelques mois plus tard, en août 2016, le Comité permanent de la Conférence épiscopale avait commenté un nouveau projet de loi et avait fait parvenir « un certain nombre de remarques et de contributions » au Comité de l’Assemblée nationale pour la culture et l’éducation de la jeunesse. Analysant les articles les uns après les autres, le Comité vérifiait la pertinence et les conséquences de leur contenu sur la vie concrète des religions.
Dans le présent courrier, publié le 1er juin 2017, la Conférence épiscopale fait état de dispositions « nouvelles et positives », puis elle indique ses préoccupations et partage quelques « éléments de réflexion » avec les membres de l’Assemblée nationale quant à la vision de la religion adoptée par les autorités civiles. L’intervention de la Conférence était particulièrement attendue dans la mesure où les critiques à l’égard de cette loi se sont multipliées au sein de la communauté internationale ces derniers mois.
La possibilité d’organiser des activités dans le domaine de l’éducation et de la santé ?
Rapidement, la Conférence énumère les dispositions « nouvelles et positives » que contient la loi. Ont ainsi vu le jour des articles relatifs aux besoins religieux des personnes en détention (article 6), des besoins des étrangers (articles 8 et 47), et, surtout, relatifs à la reconnaissance du statut de « personnes morales non commerciales » aux organisations religieuses (article 30). Ce dernier point avait, en particulier, retenu l’attention de la Conférence épiscopale : en août 2016, celle-ci avait rappelé que « auparavant, les termes ‘personne morale’ [avaient] été utilisés dans des sens différents pour la reconnaissance des organisations religieuses » et proposait d’indiquer « clairement » la qualité de « personne morale non commerciale conformément aux dispositions 91/2015/QH13 du Code civil ». Cette mesure pourrait prendre une importance certaine dans un pays où les conflits fonciers entre autorités civiles et organisations religieuses sont nombreux.
La Conférence prend ensuite le temps de dénoncer un recul par rapport aux projets de loi communiqués, en matière d’organisation d’activités par les organisations religieuses dans le domaine de l’éducation et de la santé. Ce sujet est particulièrement sensible dans la mesure où il s’agit d’une revendication constante de l’Eglise catholique et d’autres religions depuis l’unification du pays en 1975. En août 2016, la Conférence épiscopale interprétait le projet de loi comme « une autorisation » accordée aux organisations religieuses d’agir dans les domaines de la santé et de l’éducation, « à tous les niveaux, écoles maternelles, primaires et secondaires, universitaires » (article 54 du projet de loi du 8 aout 2016). L’épiscopat vietnamien s’inquiète désormais du flou qui entoure ces dispositions dans la version adoptée par le Parlement, l’article 55 étant formulé en termes particulièrement vagues et généraux ; il dispose que « les organisations religieuses peuvent participer aux activités éducatives, de formation, de santé, d’assistance sociale, caritatives et humanitaires, selon les dispositions de la loi en vigueur ».
La liberté religieuse, « un privilège qui nécessite l’autorisation » des autorités civiles
Le maintien du mécanisme de « la demande et de l’octroi » (‘xin-cho’), malgré un changement de terminologie, constitue un autre motif de déception pour la Conférence épiscopale. En vertu de ce dispositif, les organisations religieuses sont tenues de solliciter l’autorisation des autorités civiles pour organiser leurs activités, telles que, par exemple, l’ordination des prêtres. En 2016, le diocèse de Bac Ninh rappelait que « cette pratique, en réalité, [avait] provoqué, au cours des années écoulées, de très nombreuses difficultés et entraves aux activités religieuses ».
Pour la Conférence épiscopale, le maintien de ce mécanisme indique que « la liberté religieuse n’est pas vraiment considérée comme un droit de l’homme mais comme un privilège qui nécessite l’autorisation [des autorités civiles] ».
Une invitation à adopter « une vision plus positive des religions et des organisations religieuses »
Dès lors, la Conférence dénonce non seulement l’immixtion des autorités civiles dans la vie quotidienne des organisations religieuses mais aussi une vision des organisations religieuses comme « des forces antagonistes », ce qui a pour conséquences de multiplier les entraves à la liberté de religion (au nom de « l’ordre social », « la souveraineté nationale », « la défense et la sécurité nationales »), à sous-estimer le rôle joué par ces organisations (notamment dans les secteurs caritatif, médical, éducatif, etc.) et, au final, à présenter « le catholicisme avec des préjugés négatifs ». S’adressant directement aux parlementaires, la Conférence invite les responsables politiques et civils à adopter « une vision plus positive des religions et des organisations religieuses », en leur rappelant la distinction entre la nation et « les régimes politiques qui changent avec le temps ».
L’entrée en vigueur de la loi sur les croyances et la religion est prévue le 1er janvier 2018 mais les décrets d’application de cette loi n’ont pas encore été publiés. Dans ce pays de plus de 93 millions d’habitants dont 7 % sont catholiques, l’Eglise entend participer à l’élaboration des règles qui seront applicables à ses activités et à ses membres. (eda/rg)
(1) Au Vietnam, des sessions parlementaires plénières, réunissant l’ensemble des parlementaires, sont organisées deux fois par an, en novembre, et en mai, pendant un mois.
(Source: Eglises d'Asie, le 8 juin 2017)
Le 22 avril 2015, à la surprise générale, le Bureau gouvernemental des Affaires religieuses avait fait parvenir un projet de « loi sur les croyances et la religion » aux communautés religieuses du pays, un projet que la Conférence épiscopale avait alors vivement critiqué, dénonçant un recul par rapport à l’Ordonnance sur les croyances et la religion de 2004. Quelques mois plus tard, en août 2016, le Comité permanent de la Conférence épiscopale avait commenté un nouveau projet de loi et avait fait parvenir « un certain nombre de remarques et de contributions » au Comité de l’Assemblée nationale pour la culture et l’éducation de la jeunesse. Analysant les articles les uns après les autres, le Comité vérifiait la pertinence et les conséquences de leur contenu sur la vie concrète des religions.
Dans le présent courrier, publié le 1er juin 2017, la Conférence épiscopale fait état de dispositions « nouvelles et positives », puis elle indique ses préoccupations et partage quelques « éléments de réflexion » avec les membres de l’Assemblée nationale quant à la vision de la religion adoptée par les autorités civiles. L’intervention de la Conférence était particulièrement attendue dans la mesure où les critiques à l’égard de cette loi se sont multipliées au sein de la communauté internationale ces derniers mois.
La possibilité d’organiser des activités dans le domaine de l’éducation et de la santé ?
Rapidement, la Conférence énumère les dispositions « nouvelles et positives » que contient la loi. Ont ainsi vu le jour des articles relatifs aux besoins religieux des personnes en détention (article 6), des besoins des étrangers (articles 8 et 47), et, surtout, relatifs à la reconnaissance du statut de « personnes morales non commerciales » aux organisations religieuses (article 30). Ce dernier point avait, en particulier, retenu l’attention de la Conférence épiscopale : en août 2016, celle-ci avait rappelé que « auparavant, les termes ‘personne morale’ [avaient] été utilisés dans des sens différents pour la reconnaissance des organisations religieuses » et proposait d’indiquer « clairement » la qualité de « personne morale non commerciale conformément aux dispositions 91/2015/QH13 du Code civil ». Cette mesure pourrait prendre une importance certaine dans un pays où les conflits fonciers entre autorités civiles et organisations religieuses sont nombreux.
La Conférence prend ensuite le temps de dénoncer un recul par rapport aux projets de loi communiqués, en matière d’organisation d’activités par les organisations religieuses dans le domaine de l’éducation et de la santé. Ce sujet est particulièrement sensible dans la mesure où il s’agit d’une revendication constante de l’Eglise catholique et d’autres religions depuis l’unification du pays en 1975. En août 2016, la Conférence épiscopale interprétait le projet de loi comme « une autorisation » accordée aux organisations religieuses d’agir dans les domaines de la santé et de l’éducation, « à tous les niveaux, écoles maternelles, primaires et secondaires, universitaires » (article 54 du projet de loi du 8 aout 2016). L’épiscopat vietnamien s’inquiète désormais du flou qui entoure ces dispositions dans la version adoptée par le Parlement, l’article 55 étant formulé en termes particulièrement vagues et généraux ; il dispose que « les organisations religieuses peuvent participer aux activités éducatives, de formation, de santé, d’assistance sociale, caritatives et humanitaires, selon les dispositions de la loi en vigueur ».
La liberté religieuse, « un privilège qui nécessite l’autorisation » des autorités civiles
Le maintien du mécanisme de « la demande et de l’octroi » (‘xin-cho’), malgré un changement de terminologie, constitue un autre motif de déception pour la Conférence épiscopale. En vertu de ce dispositif, les organisations religieuses sont tenues de solliciter l’autorisation des autorités civiles pour organiser leurs activités, telles que, par exemple, l’ordination des prêtres. En 2016, le diocèse de Bac Ninh rappelait que « cette pratique, en réalité, [avait] provoqué, au cours des années écoulées, de très nombreuses difficultés et entraves aux activités religieuses ».
Pour la Conférence épiscopale, le maintien de ce mécanisme indique que « la liberté religieuse n’est pas vraiment considérée comme un droit de l’homme mais comme un privilège qui nécessite l’autorisation [des autorités civiles] ».
Une invitation à adopter « une vision plus positive des religions et des organisations religieuses »
Dès lors, la Conférence dénonce non seulement l’immixtion des autorités civiles dans la vie quotidienne des organisations religieuses mais aussi une vision des organisations religieuses comme « des forces antagonistes », ce qui a pour conséquences de multiplier les entraves à la liberté de religion (au nom de « l’ordre social », « la souveraineté nationale », « la défense et la sécurité nationales »), à sous-estimer le rôle joué par ces organisations (notamment dans les secteurs caritatif, médical, éducatif, etc.) et, au final, à présenter « le catholicisme avec des préjugés négatifs ». S’adressant directement aux parlementaires, la Conférence invite les responsables politiques et civils à adopter « une vision plus positive des religions et des organisations religieuses », en leur rappelant la distinction entre la nation et « les régimes politiques qui changent avec le temps ».
L’entrée en vigueur de la loi sur les croyances et la religion est prévue le 1er janvier 2018 mais les décrets d’application de cette loi n’ont pas encore été publiés. Dans ce pays de plus de 93 millions d’habitants dont 7 % sont catholiques, l’Eglise entend participer à l’élaboration des règles qui seront applicables à ses activités et à ses membres. (eda/rg)
(1) Au Vietnam, des sessions parlementaires plénières, réunissant l’ensemble des parlementaires, sont organisées deux fois par an, en novembre, et en mai, pendant un mois.
(Source: Eglises d'Asie, le 8 juin 2017)