Au pouvoir depuis juin dernier, le président Rodrigo Duterte a ouvert un nouveau chapitre de la vie politique nationale. D’abord prudents, les responsables de l’Eglise catholique, une institution centrale dans ce pays dont 82 % de la population sont catholiques, ont voulu donner au nouveau président le temps de mettre en œuvre ses programmes. Mais, désormais, face à l’emballement meurtrier de la guerre à la drogue lancée par Duterte, les évêques dénoncent une politique « contraire aux normes morales ». En réaction, le président, tout en prenant garde à ne pas rompre les ponts, lâche ses coups contre l’Eglise et sa hiérarchie.
Le 19 janvier dernier, Rodrigo Duterte recevait une nouvelle promotion d’officiers de la police nationale pour leur prestation de serment. La cérémonie avait lieu à Malacanang, le palais présidentiel. Et le moins que l’on puisse dire est que le président philippin s’est montré fidèle à sa réputation. Menaçant l’Eglise d’une « épreuve de force », il s’est dit prêt à exposer au public les fautes et abus dont se montreraient coupables évêques et prêtres.
« Si vous voulez l’épreuve de force, vous l’aurez »
A l’adresse des membres du clergé et de l’épiscopat qui critiquent sa guerre contre la drogue, le président a lancé : « Vous critiquez la police, vous me critiquez. Pour quoi ? Vous avez l’argent. Vous êtes comme fous. Quand nous nous confessons à vous, nous sommes molestés. Ils nous touchent ! Quel est votre ascendant moral ? Où est la religion ? Qu’est-ce que tout cela signifie ? » Se montrant plus précis, il a poursuivi en affirmant que des membres du clergé avaient femmes et enfants, ou bien pratiquaient l’homosexualité. Des prêtres abusent des fonds publics, a-t-il encore asséné, ajoutant qu’ils se montraient incapables de rendre compte de l’usage d’importantes sommes d’argent public.
« Vous me dénoncez. Très bien. Je vous dénonce. Pourquoi ? Vos errements seraient du domaine du bien, tandis que les nôtres ne le seraient pas ? C’est n’importe quoi. Tout ceci n’est qu’une vaste plaisanterie, a-t-il continué. Si vous voulez vraiment une épreuve de force, vous l’aurez. Mais changez vos comportements. Si vous ne pouvez pas vous amender, si vous ne pouvez faire justice aux petits garçons que vous avez molestés par le passé, alors vous ne disposez pas de l’ascendant moral qui vous permette de donner des leçons sur le caractère sacré de la vie. »
La veille, le 18 janvier, le président Duterte avait pris soin d’adresser une lettre au pape François, par laquelle il exprimait sa « profonde appréciation » de la visite que le Souverain Pontife avait effectuée aux Philippines en janvier 2015. On se souvient qu’entretemps, Rodrigo Duterte avait eu des mots extrêmement grossiers envers le pape, responsable, selon lui, des embouteillages considérables qui avaient affecté la capitale philippine lors de sa visite. Ce 18 janvier, Jesus Dureza, conseiller spécial du président Duterte pour le processus de paix, était à Rome pour prendre part à la troisième session de négociations menées par le gouvernement philippin et les responsables de la rébellion communiste philippine. Ayant remis au pape la lettre présidentielle à l’occasion de l’audience hebdomadaire du mercredi, Jesus Dureza a fait savoir que Duterte faisait part dans son courrier de « la relation spéciale » entretenue par les Philippines avec le Saint-Siège, ainsi que de sa « plus haute estime » et de son « respect » pour le pape.
Une parole présidentielle très politique
Quelques jours auparavant, le 5 janvier, le président Duterte avait signé un décret faisant du mois de janvier « le Mois national de la Bible ». « L’Etat reconnaît la nature religieuse du peuple philippin et l’influence positive de la religion sur la société », pouvait-on lire sous la plume du président, un paragraphe soulignant « le profond impact de la Bible sur la vie des nations ».
Si la parole présidentielle est toujours aussi haute en couleur, elle semble obéir à une logique très politique. Tandis que l’épiscopat dénonce la manière et les excès de la politique anti-drogue (au dernier décompte, 7 042 morts, dont 2 250 du fait de la police et près de 4 800 du fait d’exécutions extrajudiciaires), le président fait mine de renouer avec le Saint-Siège et de respecter la religion chrétienne, tout en cherchant sinon à neutraliser la parole des évêques, du moins à les amener à parlementer.
Le 20 janvier, Ernesto Abella, porte-parole du président de la République, a ainsi appelé les responsables de l’Eglise à « dépasser les critiques ». « Essayons de nous rejoindre pour entamer un vrai dialogue et une véritable conversation. Dépassons tout ceci », a-t-il déclaré lors du point presse quotidien de la présidence. « J’encourage les bons évêques à entrer en dialogue. Parlons ensemble », a-t-il ajouté.
L’Eglise et les errements de certains de ses pasteurs
Du côté de l’épiscopat philippin, il semble qu’il soit encore trop tôt pour qu’une réponse commune à la tactique présidentielle soit articulée. Responsable du Bureau des Affaires publiques de la Conférence épiscopale, le P. Jerome Secillano a estimé qu’il serait « prudent » que les deux parties « s’asseyent face à face pour arrêter une action commune ». « Les querelles doivent cesser et il n’est pas nécessaire d’infliger des blessures supplémentaires à une situation qui a déjà causé bien des divisions », a-t-il précisé, tout en ajoutant que la réponse de la part de l’Eglise ne pourra être que « collégiale ».
Dans l’attente d’une réponse commune de la Conférence épiscopale, l’archevêque de Lipa, Mgr Ramon Arguelles, s’est exprimé. Tout en reconnaissant que certains responsables de l’Eglise et membres du clergé avaient commis des erreurs, il a affirmé que « la mission d’un médecin, fût-il malade, était d’apporter des soins aux autres, y compris à lui-même ». « Les évêques et les prêtres qui cachent de graves méfaits font du mal à l’Eglise du fait de leurs infidélités. Si quelqu’un dispose des preuves concrètes de ces méfaits, les autorités doivent être mises au courant et faire le ménage dans les rangs », a-t-il ajouté.
Un autre évêque, Mgr Ruperto Santos, a réagi en ces termes : si l’Eglise est toujours ouverte au dialogue, elle ne s’interdira jamais d’annoncer l’Evangile et de défendre la vie. L’Eglise ne restera pas silencieuse face aux exécutions menées au nom de la lutte contre la drogue ou face aux tentatives visant à ré-instituer la peine de mort, a affirmé l’évêque de Balanga. Selon Mgr Arguelles, les responsables de l’Eglise « sont supposés proclamer ce qui est bien et ce qui est mal, même s’il arrive qu’eux-mêmes ne se montrent pas à la hauteur de ce qu’ils prêchent ». (eda/ra)
(Source: Eglises d'Asie, le 24 janvier 2017)
Le 19 janvier dernier, Rodrigo Duterte recevait une nouvelle promotion d’officiers de la police nationale pour leur prestation de serment. La cérémonie avait lieu à Malacanang, le palais présidentiel. Et le moins que l’on puisse dire est que le président philippin s’est montré fidèle à sa réputation. Menaçant l’Eglise d’une « épreuve de force », il s’est dit prêt à exposer au public les fautes et abus dont se montreraient coupables évêques et prêtres.
« Si vous voulez l’épreuve de force, vous l’aurez »
A l’adresse des membres du clergé et de l’épiscopat qui critiquent sa guerre contre la drogue, le président a lancé : « Vous critiquez la police, vous me critiquez. Pour quoi ? Vous avez l’argent. Vous êtes comme fous. Quand nous nous confessons à vous, nous sommes molestés. Ils nous touchent ! Quel est votre ascendant moral ? Où est la religion ? Qu’est-ce que tout cela signifie ? » Se montrant plus précis, il a poursuivi en affirmant que des membres du clergé avaient femmes et enfants, ou bien pratiquaient l’homosexualité. Des prêtres abusent des fonds publics, a-t-il encore asséné, ajoutant qu’ils se montraient incapables de rendre compte de l’usage d’importantes sommes d’argent public.
« Vous me dénoncez. Très bien. Je vous dénonce. Pourquoi ? Vos errements seraient du domaine du bien, tandis que les nôtres ne le seraient pas ? C’est n’importe quoi. Tout ceci n’est qu’une vaste plaisanterie, a-t-il continué. Si vous voulez vraiment une épreuve de force, vous l’aurez. Mais changez vos comportements. Si vous ne pouvez pas vous amender, si vous ne pouvez faire justice aux petits garçons que vous avez molestés par le passé, alors vous ne disposez pas de l’ascendant moral qui vous permette de donner des leçons sur le caractère sacré de la vie. »
La veille, le 18 janvier, le président Duterte avait pris soin d’adresser une lettre au pape François, par laquelle il exprimait sa « profonde appréciation » de la visite que le Souverain Pontife avait effectuée aux Philippines en janvier 2015. On se souvient qu’entretemps, Rodrigo Duterte avait eu des mots extrêmement grossiers envers le pape, responsable, selon lui, des embouteillages considérables qui avaient affecté la capitale philippine lors de sa visite. Ce 18 janvier, Jesus Dureza, conseiller spécial du président Duterte pour le processus de paix, était à Rome pour prendre part à la troisième session de négociations menées par le gouvernement philippin et les responsables de la rébellion communiste philippine. Ayant remis au pape la lettre présidentielle à l’occasion de l’audience hebdomadaire du mercredi, Jesus Dureza a fait savoir que Duterte faisait part dans son courrier de « la relation spéciale » entretenue par les Philippines avec le Saint-Siège, ainsi que de sa « plus haute estime » et de son « respect » pour le pape.
Une parole présidentielle très politique
Quelques jours auparavant, le 5 janvier, le président Duterte avait signé un décret faisant du mois de janvier « le Mois national de la Bible ». « L’Etat reconnaît la nature religieuse du peuple philippin et l’influence positive de la religion sur la société », pouvait-on lire sous la plume du président, un paragraphe soulignant « le profond impact de la Bible sur la vie des nations ».
Si la parole présidentielle est toujours aussi haute en couleur, elle semble obéir à une logique très politique. Tandis que l’épiscopat dénonce la manière et les excès de la politique anti-drogue (au dernier décompte, 7 042 morts, dont 2 250 du fait de la police et près de 4 800 du fait d’exécutions extrajudiciaires), le président fait mine de renouer avec le Saint-Siège et de respecter la religion chrétienne, tout en cherchant sinon à neutraliser la parole des évêques, du moins à les amener à parlementer.
Le 20 janvier, Ernesto Abella, porte-parole du président de la République, a ainsi appelé les responsables de l’Eglise à « dépasser les critiques ». « Essayons de nous rejoindre pour entamer un vrai dialogue et une véritable conversation. Dépassons tout ceci », a-t-il déclaré lors du point presse quotidien de la présidence. « J’encourage les bons évêques à entrer en dialogue. Parlons ensemble », a-t-il ajouté.
L’Eglise et les errements de certains de ses pasteurs
Du côté de l’épiscopat philippin, il semble qu’il soit encore trop tôt pour qu’une réponse commune à la tactique présidentielle soit articulée. Responsable du Bureau des Affaires publiques de la Conférence épiscopale, le P. Jerome Secillano a estimé qu’il serait « prudent » que les deux parties « s’asseyent face à face pour arrêter une action commune ». « Les querelles doivent cesser et il n’est pas nécessaire d’infliger des blessures supplémentaires à une situation qui a déjà causé bien des divisions », a-t-il précisé, tout en ajoutant que la réponse de la part de l’Eglise ne pourra être que « collégiale ».
Dans l’attente d’une réponse commune de la Conférence épiscopale, l’archevêque de Lipa, Mgr Ramon Arguelles, s’est exprimé. Tout en reconnaissant que certains responsables de l’Eglise et membres du clergé avaient commis des erreurs, il a affirmé que « la mission d’un médecin, fût-il malade, était d’apporter des soins aux autres, y compris à lui-même ». « Les évêques et les prêtres qui cachent de graves méfaits font du mal à l’Eglise du fait de leurs infidélités. Si quelqu’un dispose des preuves concrètes de ces méfaits, les autorités doivent être mises au courant et faire le ménage dans les rangs », a-t-il ajouté.
Un autre évêque, Mgr Ruperto Santos, a réagi en ces termes : si l’Eglise est toujours ouverte au dialogue, elle ne s’interdira jamais d’annoncer l’Evangile et de défendre la vie. L’Eglise ne restera pas silencieuse face aux exécutions menées au nom de la lutte contre la drogue ou face aux tentatives visant à ré-instituer la peine de mort, a affirmé l’évêque de Balanga. Selon Mgr Arguelles, les responsables de l’Eglise « sont supposés proclamer ce qui est bien et ce qui est mal, même s’il arrive qu’eux-mêmes ne se montrent pas à la hauteur de ce qu’ils prêchent ». (eda/ra)
(Source: Eglises d'Asie, le 24 janvier 2017)