L’interview sur la religion que l’on lira ci-dessous a été recueillie par Gia Minh, journaliste à Radio Free Asia (RFA - émissions en vietnamien), auprès de deux spécialistes vietnamiens de la question religieuse, présentés par lui comme appartenant au Centre d’études Asie-Pacifique de l’Université nationale de Hanoi. Il s’agit de deux chercheurs, Nguyên Van Chinh et Nguyên Quang Hung, tous les deux visiblement spécialisés dans l’analyse et l’histoire de la gestion du phénomène religieux dans son rapport à la politique.
Ce type de document théorique relativement courant il y a une vingtaine d’années est devenu très rare. Les deux spécialistes reflètent, sans nul doute, le point de vue du Parti communiste vietnamien et, plus particulièrement, celui du Bureau des Affaires religieuses sur les manifestations religieuses dans la société d’aujourd’hui. Les réponses des deux spécialistes donnent en particulier des explications intéressantes sur la distinction entre « religion » et « croyances », distinction qui a pris une grande importance au Vietnam depuis la parution de l’Ordonnance sur les croyances et la religion, mise en vigueur en 2004.
L’interview met en lumière la défiance – plus ou moins grande – éprouvée par les autorités politiques à l’égard de certaines religions. Cette défiance est à la mesure de la complexité, de la force et du degré d’organisation interne dont disposent les Eglises.
Ce document mérite d’autant plus d’attention qu’il se situe dans la période préparatoire au vote par l’Assemblée nationale d’un projet de loi concernant la religion, projet qui a fait déjà l’objet de critiques sévères de la plupart des communautés religieuses du Vietnam.
Un intérêt non négligeable de cet entretien, publié par RFA le 17 juin 2016, réside enfin dans le fait qu’il livre, quelquefois sans fard, les véritables intérêts politiques poursuivis par l’Etat dans son organisation et son mode de gestion des religions et des croyances. Il est rare, par exemple, d’être mis au courant, comme c’est le cas ici, des sentiments de crainte ou au contraire de sympathie éprouvés officiellement à l’égard de tel ou tel mouvement religieux.
Le texte vietnamien de l’entretien a été traduit en français par la rédaction d’Eglises d’Asie.
Radio Free Asia : Notre première question portera sur le nombre toujours croissant de croyants adhérant aux diverses religions pratiquées au Vietnam d’aujourd’hui.
Nguyên Van Chinh : On peut répondre que cette augmentation ne date pas d’aujourd’hui. La distinction entre « religion » et « croyance » faite par les textes législatifs a provoqué une diminution du nombre des personnes adhérant à une religion, bien que le nombre de personnes changeant de religion pour adhérer au protestantisme soit en train d’augmenter. En réalité, au Vietnam, il n’y a pas d’augmentation du nombre d’adhérents aux diverses religions. Celui-ci reste stable. Mais de nouvelles croyances ont été importées qui provoquent les changements de religion. Ainsi, certains adhérents du culte des ancêtres adoptent d’autres contenus de croyance.
Cette nouvelle répartition a une implication pratique dans la politique religieuse : on fait moins attention au contenu de la croyance qu’à l’organisation religieuse elle-même, et c’est cette dernière qui retient toute l’attention du gouvernement, qui inquiète le gouvernement.
En fin de compte, on peut donc dire que le nombre total de croyants au Vietnam n’a pas changé. Mais il existe là-bas de nombreuses religions différentes et beaucoup sont ceux qui décident d’abandonner l’une (le culte des ancêtres par exemple) au profit de l’autre. Ce qui constitue un changement. Mais je crois que tous les Vietnamiens adhèrent à une foi religieuse.
Vous avez utilisé le mot inquiétude pour désigner le sentiment suscité par la religion au sein de l’Etat. Pourquoi ?
Nguyên Van Chinh : Comme c’est écrit dans les premiers chapitres de l’Ordonnance sur les croyances et la religion de 2004, le Vietnam fait la distinction entre religions et « croyances ». Celles-ci sont des religions sans organisation. Elles incluent notamment le culte des ancêtres, les rites de communication médiumnique, populairement appelé « lên dông » (‘entrer en transe’), et les offrandes aux génies tutélaires du village.
Ce sont des cérémonies célébrées selon la tradition et l’Etat reconnaît qu’elles servent à préserver l’âme de la nation, à conserver intacte l’identité nationale. Actuellement, entre 75 et 80 000 fêtes folkloriques sont en train de reprendre vie. Non seulement l’Etat ne s’en inquiète pas, mais il utilise ces croyances religieuses à des fins politiques !
Ainsi, dans les premiers temps de la révolution, on n’envisageait pas le culte des ancêtres de la même façon qu’aujourd’hui. Mais après quelques débats, on a considéré qu’il ne s’agissait pas là d’une religion, mais simplement d’un comportement moral (đạo đức). Ce changement conduisit à une politique extrêmement importante : on définit qui étaient les ancêtres et quelle était la portée politique du culte qui leur était rendu. On aboutit alors à trois définitions des ancêtres : d’abord les ancêtres de la famille du clan, ensuite les ancêtres de la communauté comme, par exemple, les fondateurs du village, et enfin les ancêtres de la nation, comme les rois Hung dont les cérémonies anniversaires voient la participation du secrétaire général du Parti, du chef de l’Etat et du président de l’Assemblée nationale.
On est en train de redéfinir le concept, la nature et le rôle de la religion, de la croyance religieuse en fonction du système politique. A savoir, comment les utiliser dans ce qu’on appelle la réédification du concept de nation, de peuple, de climat national… Prenons par exemple le cas du « lên dông » ('entrer en transe', en communication avec les esprits par le moyen de médium). Autrefois, ce culte était interdit. Il fut un temps, en effet, où il était totalement interdit et considéré comme très dangereux. J’ai interrogé de nombreuses personnes pratiquant la communication médiumnique avec les esprits. Aujourd’hui, le culte est appelé « religion des Mères ». Il est considéré comme un véritable patrimoine, emblématique de la nation et reconnu comme tel par l’Unesco.
Ce qui signifie que la politique religieuse de l’Etat a changé à l’égard des religions que l’on appelle « folk religion » (NdT : en anglais dans le texte). Les orientations de l’Etat évoluent. Celui-ci considère cette religion comme un reflet de la nation, comme l’âme du peuple, comme un processus d’union nationale.
Par contre, les grandes religions comme le catholicisme ont une organisation. Il existe deux motifs de méfiance : en premier lieu, ces grandes religions sont importées de l’extérieur. Ensuite, c’est de là qu’elles sont organisées et dirigées. C’est pourquoi elles seraient dangereuses… du moins, telle est la conclusion pragmatique tirée par les responsables politiques. Ce n’est donc pas naturellement qu’on a séparé les religions des croyances, mais en vertu d’une implication pragmatique.
Certes, le bouddhisme est une religion implantée depuis de nombreuses générations au Vietnam, mais il est lui aussi d’origine étrangère…
Nguyên Quang Hung : Pour revenir à la différence entre les religions et les croyances, à la différence des religions monothéistes de l’Occident, comme l’islam, le christianisme ou encore le judaïsme, qui sont toutes dotées d’organisations appelées Eglises (church, en anglais dans le texte), la caractéristique de la religion chinoise est d’insister sur la foi (sic), et d’être orientée vers le réseau des religions populaires. Il faut le dire : elle n’a absolument pas besoin d’une organisation religieuse solidement constituée.
Si l’on regarde vers les pays de l’Asie du Sud-Est, on constate des conflits entre les religions. Entre catholiques et musulmans aux Philippines, entre chrétiens et musulmans en Indonésie, entre bouddhistes et musulmans en Thaïlande. Quand au Vietnam, au moins pour la période précoloniale, à l’époque de la dynastie des Lê et de celle des Nguyên, il y a eu quelques tensions sporadiques entre le confucianisme associé au taoïsme de la dynastie régnante et le bouddhisme, mais elles n’ont jamais provoqué de véritables conflits. Cependant, lorsque s’est propagé le catholicisme, une religion dotée d’une organisation, c’est alors qu’est survenu le conflit. Sans parler de la question du culte des ancêtres interdit jusqu’au concile Vatican II. Sous les Trinh et les Nguyên, des décrets ont interdit cette religion. Plus particulièrement sous la dynastie des Nguyên, parce que cette dynastie régnait en s’appuyant sur la morale politique du confucianisme qui empêchait le souverain d’imaginer le Vietnam sous la forme d’un royaume chrétien. Cela explique les heurts entre la dynastie des Nguyên et le catholicisme. Bien nous n’ayons pas voulu ce conflit, il semble qu’il aurait été pratiquement impossible à éviter au cours de l’Histoire.
Le Bureau des Affaires religieuses différencie entre religions (simple) et religions organisées car la mission du Bureau et de l’Etat est de gérer les activités des religions. Lorsque l’une d’elles est organisée, alors elle ne peut se soustraire aux mesures dictées par la gestion des religions.
Nguyên Van Chinh : Je voudrais revenir sur le fait que la distinction entre les religions et les croyances comporte une implication pratique en politique. Vous demandez pourquoi le bouddhisme qui appartient la culture du Vietnam est concerné par cette distinction. Le problème est qu’à l’égard des religions organisées, le gouvernement a une politique distincte. Il distingue deux catégories : la première recouvre ce qu’on appelle les patriotic church associations (en anglais dans le texte), à savoir le bouddhisme, le protestantisme, dont les membres aiment leur patrie et sympathisent avec les divers cadres du Parti ; la deuxième catégorie de groupes ne comporte pas les caractéristiques précédentes. C’est pourquoi, dans l’Ordonnance sur les croyances et la religion mise en vigueur en 2004-2005, les religions sont divisées en trois types d’organisations. Les premières sont celles qui sont reconnues (autrement dit légales) ; les secondes sont les organisations non reconnues (et de ce fait illégales) ; les troisièmes sont des groupes privés. La politique s’appuie sur ses distinctions.
Du côté de l’Etat, il y a des changements. Du côté des religions, il y a des adaptations. On parle de retour aux traditions, aux valeurs nationales. Les différences entre les religions s’atténuent…
Nguyên Quang Hung : Il faut le dire : il y a eu un changement assez fondamental de l’Etat vietnamien à l’égard de la religion en 1990. Avant cette date, dans le cadre de la Guerre froide, le Vietnam avait dû s’engager dans deux guerres, l’une contre la France, l’autre contre les Etats-Unis. A cette époque, notre politique religieuse était orientée par ce qu’on appelle la résistance. Mais, la situation après 1990 a vu les deux parties – la religion et l’Etat – chercher un nouveau mode de coexistence. C’est un processus, une progression, qui connaît parfois des frictions, voire des conflits, même si les deux cherchent également à trouver une solution aux problèmes dont la société est affectée. Les conflits peuvent concerner des questions foncières.
D’une façon générale, en tant que chercheur spécialisé dans le catholicisme ainsi que dans les relations de l’Etat avec les catholiques aujourd’hui, je dois dire une chose : jamais les relations entre l’Etat vietnamien et le Saint-Siège n’ont été aussi bonnes qu’aujourd’hui. Bien qu’actuellement, il existe toujours des problèmes que les deux parties doivent régler. Par exemple, aujourd’hui, le Saint-Siège est prêt à établir des relations avec le Vietnam, mais l’Etat vietnamien attend toujours que se produise une occasion intéressante pour procéder à cet établissement des relations, bien que, du secrétaire général du Parti au le chef d’Etat, en passant par le Premier ministre et jusqu’au président de l’Assemblée nationale, tous nos hauts dirigeants ont eu l’occasion de rendre visite au Vatican.
La question de l’établissement de relations diplomatiques complètes dépend du Vietnam. L’Etat vietnamien désirerait une occasion plus favorable que celle d’aujourd’hui.
(Source: Eglises d'Asie, le 12 juillet 2016)
Ce type de document théorique relativement courant il y a une vingtaine d’années est devenu très rare. Les deux spécialistes reflètent, sans nul doute, le point de vue du Parti communiste vietnamien et, plus particulièrement, celui du Bureau des Affaires religieuses sur les manifestations religieuses dans la société d’aujourd’hui. Les réponses des deux spécialistes donnent en particulier des explications intéressantes sur la distinction entre « religion » et « croyances », distinction qui a pris une grande importance au Vietnam depuis la parution de l’Ordonnance sur les croyances et la religion, mise en vigueur en 2004.
L’interview met en lumière la défiance – plus ou moins grande – éprouvée par les autorités politiques à l’égard de certaines religions. Cette défiance est à la mesure de la complexité, de la force et du degré d’organisation interne dont disposent les Eglises.
Ce document mérite d’autant plus d’attention qu’il se situe dans la période préparatoire au vote par l’Assemblée nationale d’un projet de loi concernant la religion, projet qui a fait déjà l’objet de critiques sévères de la plupart des communautés religieuses du Vietnam.
Un intérêt non négligeable de cet entretien, publié par RFA le 17 juin 2016, réside enfin dans le fait qu’il livre, quelquefois sans fard, les véritables intérêts politiques poursuivis par l’Etat dans son organisation et son mode de gestion des religions et des croyances. Il est rare, par exemple, d’être mis au courant, comme c’est le cas ici, des sentiments de crainte ou au contraire de sympathie éprouvés officiellement à l’égard de tel ou tel mouvement religieux.
Le texte vietnamien de l’entretien a été traduit en français par la rédaction d’Eglises d’Asie.
Radio Free Asia : Notre première question portera sur le nombre toujours croissant de croyants adhérant aux diverses religions pratiquées au Vietnam d’aujourd’hui.
Nguyên Van Chinh : On peut répondre que cette augmentation ne date pas d’aujourd’hui. La distinction entre « religion » et « croyance » faite par les textes législatifs a provoqué une diminution du nombre des personnes adhérant à une religion, bien que le nombre de personnes changeant de religion pour adhérer au protestantisme soit en train d’augmenter. En réalité, au Vietnam, il n’y a pas d’augmentation du nombre d’adhérents aux diverses religions. Celui-ci reste stable. Mais de nouvelles croyances ont été importées qui provoquent les changements de religion. Ainsi, certains adhérents du culte des ancêtres adoptent d’autres contenus de croyance.
Cette nouvelle répartition a une implication pratique dans la politique religieuse : on fait moins attention au contenu de la croyance qu’à l’organisation religieuse elle-même, et c’est cette dernière qui retient toute l’attention du gouvernement, qui inquiète le gouvernement.
En fin de compte, on peut donc dire que le nombre total de croyants au Vietnam n’a pas changé. Mais il existe là-bas de nombreuses religions différentes et beaucoup sont ceux qui décident d’abandonner l’une (le culte des ancêtres par exemple) au profit de l’autre. Ce qui constitue un changement. Mais je crois que tous les Vietnamiens adhèrent à une foi religieuse.
Vous avez utilisé le mot inquiétude pour désigner le sentiment suscité par la religion au sein de l’Etat. Pourquoi ?
Nguyên Van Chinh : Comme c’est écrit dans les premiers chapitres de l’Ordonnance sur les croyances et la religion de 2004, le Vietnam fait la distinction entre religions et « croyances ». Celles-ci sont des religions sans organisation. Elles incluent notamment le culte des ancêtres, les rites de communication médiumnique, populairement appelé « lên dông » (‘entrer en transe’), et les offrandes aux génies tutélaires du village.
Ce sont des cérémonies célébrées selon la tradition et l’Etat reconnaît qu’elles servent à préserver l’âme de la nation, à conserver intacte l’identité nationale. Actuellement, entre 75 et 80 000 fêtes folkloriques sont en train de reprendre vie. Non seulement l’Etat ne s’en inquiète pas, mais il utilise ces croyances religieuses à des fins politiques !
Ainsi, dans les premiers temps de la révolution, on n’envisageait pas le culte des ancêtres de la même façon qu’aujourd’hui. Mais après quelques débats, on a considéré qu’il ne s’agissait pas là d’une religion, mais simplement d’un comportement moral (đạo đức). Ce changement conduisit à une politique extrêmement importante : on définit qui étaient les ancêtres et quelle était la portée politique du culte qui leur était rendu. On aboutit alors à trois définitions des ancêtres : d’abord les ancêtres de la famille du clan, ensuite les ancêtres de la communauté comme, par exemple, les fondateurs du village, et enfin les ancêtres de la nation, comme les rois Hung dont les cérémonies anniversaires voient la participation du secrétaire général du Parti, du chef de l’Etat et du président de l’Assemblée nationale.
On est en train de redéfinir le concept, la nature et le rôle de la religion, de la croyance religieuse en fonction du système politique. A savoir, comment les utiliser dans ce qu’on appelle la réédification du concept de nation, de peuple, de climat national… Prenons par exemple le cas du « lên dông » ('entrer en transe', en communication avec les esprits par le moyen de médium). Autrefois, ce culte était interdit. Il fut un temps, en effet, où il était totalement interdit et considéré comme très dangereux. J’ai interrogé de nombreuses personnes pratiquant la communication médiumnique avec les esprits. Aujourd’hui, le culte est appelé « religion des Mères ». Il est considéré comme un véritable patrimoine, emblématique de la nation et reconnu comme tel par l’Unesco.
Ce qui signifie que la politique religieuse de l’Etat a changé à l’égard des religions que l’on appelle « folk religion » (NdT : en anglais dans le texte). Les orientations de l’Etat évoluent. Celui-ci considère cette religion comme un reflet de la nation, comme l’âme du peuple, comme un processus d’union nationale.
Par contre, les grandes religions comme le catholicisme ont une organisation. Il existe deux motifs de méfiance : en premier lieu, ces grandes religions sont importées de l’extérieur. Ensuite, c’est de là qu’elles sont organisées et dirigées. C’est pourquoi elles seraient dangereuses… du moins, telle est la conclusion pragmatique tirée par les responsables politiques. Ce n’est donc pas naturellement qu’on a séparé les religions des croyances, mais en vertu d’une implication pragmatique.
Certes, le bouddhisme est une religion implantée depuis de nombreuses générations au Vietnam, mais il est lui aussi d’origine étrangère…
Nguyên Quang Hung : Pour revenir à la différence entre les religions et les croyances, à la différence des religions monothéistes de l’Occident, comme l’islam, le christianisme ou encore le judaïsme, qui sont toutes dotées d’organisations appelées Eglises (church, en anglais dans le texte), la caractéristique de la religion chinoise est d’insister sur la foi (sic), et d’être orientée vers le réseau des religions populaires. Il faut le dire : elle n’a absolument pas besoin d’une organisation religieuse solidement constituée.
Si l’on regarde vers les pays de l’Asie du Sud-Est, on constate des conflits entre les religions. Entre catholiques et musulmans aux Philippines, entre chrétiens et musulmans en Indonésie, entre bouddhistes et musulmans en Thaïlande. Quand au Vietnam, au moins pour la période précoloniale, à l’époque de la dynastie des Lê et de celle des Nguyên, il y a eu quelques tensions sporadiques entre le confucianisme associé au taoïsme de la dynastie régnante et le bouddhisme, mais elles n’ont jamais provoqué de véritables conflits. Cependant, lorsque s’est propagé le catholicisme, une religion dotée d’une organisation, c’est alors qu’est survenu le conflit. Sans parler de la question du culte des ancêtres interdit jusqu’au concile Vatican II. Sous les Trinh et les Nguyên, des décrets ont interdit cette religion. Plus particulièrement sous la dynastie des Nguyên, parce que cette dynastie régnait en s’appuyant sur la morale politique du confucianisme qui empêchait le souverain d’imaginer le Vietnam sous la forme d’un royaume chrétien. Cela explique les heurts entre la dynastie des Nguyên et le catholicisme. Bien nous n’ayons pas voulu ce conflit, il semble qu’il aurait été pratiquement impossible à éviter au cours de l’Histoire.
Le Bureau des Affaires religieuses différencie entre religions (simple) et religions organisées car la mission du Bureau et de l’Etat est de gérer les activités des religions. Lorsque l’une d’elles est organisée, alors elle ne peut se soustraire aux mesures dictées par la gestion des religions.
Nguyên Van Chinh : Je voudrais revenir sur le fait que la distinction entre les religions et les croyances comporte une implication pratique en politique. Vous demandez pourquoi le bouddhisme qui appartient la culture du Vietnam est concerné par cette distinction. Le problème est qu’à l’égard des religions organisées, le gouvernement a une politique distincte. Il distingue deux catégories : la première recouvre ce qu’on appelle les patriotic church associations (en anglais dans le texte), à savoir le bouddhisme, le protestantisme, dont les membres aiment leur patrie et sympathisent avec les divers cadres du Parti ; la deuxième catégorie de groupes ne comporte pas les caractéristiques précédentes. C’est pourquoi, dans l’Ordonnance sur les croyances et la religion mise en vigueur en 2004-2005, les religions sont divisées en trois types d’organisations. Les premières sont celles qui sont reconnues (autrement dit légales) ; les secondes sont les organisations non reconnues (et de ce fait illégales) ; les troisièmes sont des groupes privés. La politique s’appuie sur ses distinctions.
Du côté de l’Etat, il y a des changements. Du côté des religions, il y a des adaptations. On parle de retour aux traditions, aux valeurs nationales. Les différences entre les religions s’atténuent…
Nguyên Quang Hung : Il faut le dire : il y a eu un changement assez fondamental de l’Etat vietnamien à l’égard de la religion en 1990. Avant cette date, dans le cadre de la Guerre froide, le Vietnam avait dû s’engager dans deux guerres, l’une contre la France, l’autre contre les Etats-Unis. A cette époque, notre politique religieuse était orientée par ce qu’on appelle la résistance. Mais, la situation après 1990 a vu les deux parties – la religion et l’Etat – chercher un nouveau mode de coexistence. C’est un processus, une progression, qui connaît parfois des frictions, voire des conflits, même si les deux cherchent également à trouver une solution aux problèmes dont la société est affectée. Les conflits peuvent concerner des questions foncières.
D’une façon générale, en tant que chercheur spécialisé dans le catholicisme ainsi que dans les relations de l’Etat avec les catholiques aujourd’hui, je dois dire une chose : jamais les relations entre l’Etat vietnamien et le Saint-Siège n’ont été aussi bonnes qu’aujourd’hui. Bien qu’actuellement, il existe toujours des problèmes que les deux parties doivent régler. Par exemple, aujourd’hui, le Saint-Siège est prêt à établir des relations avec le Vietnam, mais l’Etat vietnamien attend toujours que se produise une occasion intéressante pour procéder à cet établissement des relations, bien que, du secrétaire général du Parti au le chef d’Etat, en passant par le Premier ministre et jusqu’au président de l’Assemblée nationale, tous nos hauts dirigeants ont eu l’occasion de rendre visite au Vatican.
La question de l’établissement de relations diplomatiques complètes dépend du Vietnam. L’Etat vietnamien désirerait une occasion plus favorable que celle d’aujourd’hui.
(Source: Eglises d'Asie, le 12 juillet 2016)