– Quand les hindouistes tentent de rallier les électeurs chrétiens du Kerala –
A l’approche des élections nationales de 2014, le BJP (Parti du peuple indien), vitrine politique de la mouvance hindouiste, lance une offensive de charme au Kerala, où l’électorat chrétien pèse d’un poids significatif (20 % de la
population). Dans cet Etat du sud de l’Inde, deux partis politiques se partagent le pouvoir en alternance depuis des décennies: le Parti communiste et le Parti du Congrès, qui a remporté le dernier scrutin en 2011. Dans l’analyse ci-dessous, le journaliste indien Jeemon Jacob (1) décrypte la campagne de séduction actuellement menée par les hindouistes envers les chrétiens du Kerala. Publié le 30 septembre 2013 par l’agence Ucanews, son texte a été traduit en français par la rédaction d’Eglises d’Asie.
« En Inde, les élections sont un temps béni pour deux catégories de la population, les pauvres et les minorités religieuses, comme les chrétiens. Celles-ci sont alors l’objet de toutes les attentions de chaque parti politique qui les courtisent de façon éhontée. Tout homme politique qui rêve d’emporter la victoire fait alors son maximum pour leur faire les propositions les plus séduisantes.
Les pauvres sont particulièrement recherchés car ils constituent plus de 70 % des électeurs en Inde. Mais les minorités religieuses sont elles aussi, devenues une cible de choix des politiques car leur vote pour faire basculer vers la victoire ou la défaite. Après tout, les quelque 150 millions de musulmans et 25 millions de chrétiens qui sont disséminés à travers le pays, représentent « une réserve de voix » non négligeable pouvant décider de l’issue des scrutins dans certaines régions.
L’une de ces régions est le Kerala, Etat situé dans le sud de l’Inde, où le parti nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party (BJP), n’a encore jamais obtenu un seul siège au Parlement.
La semaine dernière a vu le parti intensifier sa campagne de séduction des chrétiens dans le but de gagner au moins l’un des 29 sièges du Parlement de l’Etat, lors des prochaines élections nationales, en 2014 (2). Les chrétiens, qui sont 7 millions sur les 33 millions d’habitants que compte le Kerala, constituent, à n’en pas douter, une opportunité électorale à ne pas manquer.
Le candidat du BJP au poste de Premier ministre, Narendra Modi (3), s’est rendu la semaine dernière au Kerala pour tenter de gagner l’adhésion des chrétiens. Pour lui, il s’agit de faire d’une pierre deux coups: au niveau national, cela redorerait son blason en l’aidant à faire oublier son étiquette de persécuteur des minorités religieuses et, au niveau régional [celui du Kerala], cela lui donnerait les moyens d’ouvrir à son parti la voie d’une victoire politique.
Son équipe de campagne ne ménage pas ses efforts sur le terrain pour tenter de convaincre les communautés chrétiennes que le BJP est prêt à protéger les intérêts des chrétiens. Dans ce but, elle essaye de présenter Modi comme l’homme qui a apporté le développement au Gujarat, Etat dont il est le ministre-président.
Les leaders du BJP veulent que les chrétiens oublient le massacre des chrétiens par les hindous au Kandhamal, en Orissa, ainsi que les pogroms antimusulmans lors des émeutes du Gujarat. Chrétiens comme hindous sont encouragés à oublier le passé pour regarder vers l’avenir. Le parti assure que les communautés minoritaires pourront s’épanouir sous le règne de Modi, dans le cadre de son projet qu’il déclare avoir pour but de développer l’Inde tout entière.
A en croire le BJP, le parti a mis au point une entente tactique avec l’Eglise syriaque de Mar Thoma (4), basée au Kerala, qui compte un million de fidèles à travers le monde. L’ancien métropolite de l’Eglise Mar Thoma, Philipose Mar Chrysostom, a partagé la tribune avec Modi alors qu’il assistait à l’anniversaire de Mata Amritananandamai, la « hugging Hindu god-woman » (5), qui draine des adeptes venus de tous les pays.
Les médias rapportent que les dirigeants du BJP auraient contacté Mgr Mathew Arackal, évêque catholique de Kanjirapally (6), pour une « réunion secrète » avec Modi lors de son passage au Kerala. Mais les responsables du diocèse ont formellement démenti cette information et ont déclaré à Ucanews que cette histoire était « une fausse rumeur ».
Il est vrai que l’évêque avait été nommé membre de la Planning Commission of India, la plus haute instance du pays dans ce domaine, à l’époque où la coalition menée par le BJP était au pouvoir à New Delhi, il y a une dizaine d’années. « [La commission] avait reconnu le côté novateur de son travail dans le domaine social. Ce n’était pas une nomination politique », a commenté un proche de Mgr Arackal.
Les leaders du BJP ont senti qu’ils pourraient se rapprocher davantage des catholiques du Kerala par l’intermédiaire de Mgr Arackal. « Nous travaillons à une stratégie pour rallier les communautés sympathisantes et la population de l’Etat. Nous voulons obtenir au moins un siège au Kerala où n’avons jamais gagné [aux élections] », a déclaré un responsable du BJP.
Ce dernier a ajouté que le BJP ne pouvait s’attendre à ce que tous les hindous votent pour eux. Bien qu’ils soient majoritaires dans l’Etat – quelque 56,2 % de la population totale (soit 19 millions de personnes), les hindous apportent leur vote à d’autres partis comme celui du Congrès ou le Parti communiste.
Le fait que peu d’électeurs au Kerala votent pour le BJP s’est révélé particulièrement évident lors des dernières élections dans l’Etat, où le parti hindouiste n’a remporté que 6,4 % des suffrages. Quant aux chrétiens, ils votent traditionnellement pour le Congrès.
Le BJP a donc désespérément besoin de se rapprocher des chrétiens au Kerala afin de provoquer un changement marquant dans les habitudes électorales. « Rallier les chrétiens est très important pour le BJP et cela nous aiderait à affaiblir le Congrès dans l’Etat. La présence de Modi et son aura de ‘bon gouvernant’ [en tant que ministre-président du Gujarat. NdT] sont d’une importance capitale pour convaincre les leaders chrétiens », explique un autre responsable du BJP.
Selon des sources internes au parti hindouiste, le BJP a déjà pris contact avec des groupes protestants, dont l’évangéliste multimillionnaire et auto-proclamé archevêque, K. P. Yohannan, qui souhaite avoir des relations non conflictuelles avec le futur parti au pouvoir.
Le BJP, comme tous les autres partis politiques en Inde, croit fermement qu’il n’y a pas d’ennemis irréductibles en politique. Il voudrait bien que le symbole de son parti, le lotus, fleurisse également au Kerala. Il serait même très content de voir le lotus fleurir sur la croix.
Peut-être que les nouveaux amis du BJP croient réellement qu’ils n’ont rien à perdre, mais seulement tout à gagner, si le BJP arrive au pouvoir. .. » (eda/msb)
(1) Jeemon Jacob, ancien collaborateur de Reuters, a reçu de nombreux prix pour son travail d’investigation journalistique. Basé aujourd’hui à Thiruvananthapuram, capitale du Kerala, il écrit entre autres médias, pour le magazine Tehelka, où il vient de signer une série d’articles sur la campagne de Modi au Kerala. NdT.
(2) Prévues pour le deuxième trimestre 2014, les élections législatives vont renouveler la Chambre basse du Parlement indien, le Lok Sabha. Le parti majoritaire désignera ensuite le nouveau gouvernement de l’Inde. Si le Parti du Congrès, au pouvoir depuis 2004 au sein de l’alliance progressiste unie (UPA), brigue un nouveau mandat, les récents scandales qui ont décrédibilisé plusieurs de ses membres risquent de fragiliser sa position. Il sera confronté en 2014 à l’Alliance démocratique nationale (NDA), coalition dirigée par le BJP et le Front de gauche. NdT.
(3) Fin septembre, le BJP a annoncé la candidature de l’actuel ministre-président de l’Etat de Gujarat, Narendra Modi, au poste de Premier ministre en cas de victoire au Lok Sabha (Parlement) à l’occasion des élections de 2014. En Inde, après l’annonce des résultats des élections législatives, le parti avec le plus grand nombre de sièges forme le gouvernement et choisit le Premier ministre. NdT
(4) L’Eglise Mar Thoma est une Eglise syrienne se réclamant directement de l’évangélisation de saint Thomas l’Apôtre. Appelée également Eglise malankare Mar Thomas, elle fait partie de la Communion anglicane. Son actuel métropolite est Joseph Mar Thoma. NdT.
(5) Mata Amritanandamayi, ou Amma, née le 27 septembre 1953, a fondé le mouvement Embracing the World, dont le siège est au Kerala. Elle prône une religion hindoue universelle dont elle symbolise « la vocation d’amour » en étreignant au cours de ‘darshan’ (assemblées) des millions d’individus dans ses bras. NdT.
(6) Mgr Arackal, à la tête de l’éparchie de Kanjirapally, est évêque de l’Eglise catholique de rite syro-malabare. Cette Eglise compte près de 4 millions de fidèles, dont la très grande majorité se trouve au Kerala, son foyer historique. Après la communauté latine, elle représente, par le nombre des fidèles, la deuxième Eglise catholique d’Inde.
(Source: Eglises d'Asie, 4 octobre 2013)
A l’approche des élections nationales de 2014, le BJP (Parti du peuple indien), vitrine politique de la mouvance hindouiste, lance une offensive de charme au Kerala, où l’électorat chrétien pèse d’un poids significatif (20 % de la
« En Inde, les élections sont un temps béni pour deux catégories de la population, les pauvres et les minorités religieuses, comme les chrétiens. Celles-ci sont alors l’objet de toutes les attentions de chaque parti politique qui les courtisent de façon éhontée. Tout homme politique qui rêve d’emporter la victoire fait alors son maximum pour leur faire les propositions les plus séduisantes.
Les pauvres sont particulièrement recherchés car ils constituent plus de 70 % des électeurs en Inde. Mais les minorités religieuses sont elles aussi, devenues une cible de choix des politiques car leur vote pour faire basculer vers la victoire ou la défaite. Après tout, les quelque 150 millions de musulmans et 25 millions de chrétiens qui sont disséminés à travers le pays, représentent « une réserve de voix » non négligeable pouvant décider de l’issue des scrutins dans certaines régions.
L’une de ces régions est le Kerala, Etat situé dans le sud de l’Inde, où le parti nationaliste hindou, le Bharatiya Janata Party (BJP), n’a encore jamais obtenu un seul siège au Parlement.
La semaine dernière a vu le parti intensifier sa campagne de séduction des chrétiens dans le but de gagner au moins l’un des 29 sièges du Parlement de l’Etat, lors des prochaines élections nationales, en 2014 (2). Les chrétiens, qui sont 7 millions sur les 33 millions d’habitants que compte le Kerala, constituent, à n’en pas douter, une opportunité électorale à ne pas manquer.
Le candidat du BJP au poste de Premier ministre, Narendra Modi (3), s’est rendu la semaine dernière au Kerala pour tenter de gagner l’adhésion des chrétiens. Pour lui, il s’agit de faire d’une pierre deux coups: au niveau national, cela redorerait son blason en l’aidant à faire oublier son étiquette de persécuteur des minorités religieuses et, au niveau régional [celui du Kerala], cela lui donnerait les moyens d’ouvrir à son parti la voie d’une victoire politique.
Son équipe de campagne ne ménage pas ses efforts sur le terrain pour tenter de convaincre les communautés chrétiennes que le BJP est prêt à protéger les intérêts des chrétiens. Dans ce but, elle essaye de présenter Modi comme l’homme qui a apporté le développement au Gujarat, Etat dont il est le ministre-président.
Les leaders du BJP veulent que les chrétiens oublient le massacre des chrétiens par les hindous au Kandhamal, en Orissa, ainsi que les pogroms antimusulmans lors des émeutes du Gujarat. Chrétiens comme hindous sont encouragés à oublier le passé pour regarder vers l’avenir. Le parti assure que les communautés minoritaires pourront s’épanouir sous le règne de Modi, dans le cadre de son projet qu’il déclare avoir pour but de développer l’Inde tout entière.
A en croire le BJP, le parti a mis au point une entente tactique avec l’Eglise syriaque de Mar Thoma (4), basée au Kerala, qui compte un million de fidèles à travers le monde. L’ancien métropolite de l’Eglise Mar Thoma, Philipose Mar Chrysostom, a partagé la tribune avec Modi alors qu’il assistait à l’anniversaire de Mata Amritananandamai, la « hugging Hindu god-woman » (5), qui draine des adeptes venus de tous les pays.
Les médias rapportent que les dirigeants du BJP auraient contacté Mgr Mathew Arackal, évêque catholique de Kanjirapally (6), pour une « réunion secrète » avec Modi lors de son passage au Kerala. Mais les responsables du diocèse ont formellement démenti cette information et ont déclaré à Ucanews que cette histoire était « une fausse rumeur ».
Il est vrai que l’évêque avait été nommé membre de la Planning Commission of India, la plus haute instance du pays dans ce domaine, à l’époque où la coalition menée par le BJP était au pouvoir à New Delhi, il y a une dizaine d’années. « [La commission] avait reconnu le côté novateur de son travail dans le domaine social. Ce n’était pas une nomination politique », a commenté un proche de Mgr Arackal.
Les leaders du BJP ont senti qu’ils pourraient se rapprocher davantage des catholiques du Kerala par l’intermédiaire de Mgr Arackal. « Nous travaillons à une stratégie pour rallier les communautés sympathisantes et la population de l’Etat. Nous voulons obtenir au moins un siège au Kerala où n’avons jamais gagné [aux élections] », a déclaré un responsable du BJP.
Ce dernier a ajouté que le BJP ne pouvait s’attendre à ce que tous les hindous votent pour eux. Bien qu’ils soient majoritaires dans l’Etat – quelque 56,2 % de la population totale (soit 19 millions de personnes), les hindous apportent leur vote à d’autres partis comme celui du Congrès ou le Parti communiste.
Le fait que peu d’électeurs au Kerala votent pour le BJP s’est révélé particulièrement évident lors des dernières élections dans l’Etat, où le parti hindouiste n’a remporté que 6,4 % des suffrages. Quant aux chrétiens, ils votent traditionnellement pour le Congrès.
Le BJP a donc désespérément besoin de se rapprocher des chrétiens au Kerala afin de provoquer un changement marquant dans les habitudes électorales. « Rallier les chrétiens est très important pour le BJP et cela nous aiderait à affaiblir le Congrès dans l’Etat. La présence de Modi et son aura de ‘bon gouvernant’ [en tant que ministre-président du Gujarat. NdT] sont d’une importance capitale pour convaincre les leaders chrétiens », explique un autre responsable du BJP.
Selon des sources internes au parti hindouiste, le BJP a déjà pris contact avec des groupes protestants, dont l’évangéliste multimillionnaire et auto-proclamé archevêque, K. P. Yohannan, qui souhaite avoir des relations non conflictuelles avec le futur parti au pouvoir.
Le BJP, comme tous les autres partis politiques en Inde, croit fermement qu’il n’y a pas d’ennemis irréductibles en politique. Il voudrait bien que le symbole de son parti, le lotus, fleurisse également au Kerala. Il serait même très content de voir le lotus fleurir sur la croix.
Peut-être que les nouveaux amis du BJP croient réellement qu’ils n’ont rien à perdre, mais seulement tout à gagner, si le BJP arrive au pouvoir. .. » (eda/msb)
(1) Jeemon Jacob, ancien collaborateur de Reuters, a reçu de nombreux prix pour son travail d’investigation journalistique. Basé aujourd’hui à Thiruvananthapuram, capitale du Kerala, il écrit entre autres médias, pour le magazine Tehelka, où il vient de signer une série d’articles sur la campagne de Modi au Kerala. NdT.
(2) Prévues pour le deuxième trimestre 2014, les élections législatives vont renouveler la Chambre basse du Parlement indien, le Lok Sabha. Le parti majoritaire désignera ensuite le nouveau gouvernement de l’Inde. Si le Parti du Congrès, au pouvoir depuis 2004 au sein de l’alliance progressiste unie (UPA), brigue un nouveau mandat, les récents scandales qui ont décrédibilisé plusieurs de ses membres risquent de fragiliser sa position. Il sera confronté en 2014 à l’Alliance démocratique nationale (NDA), coalition dirigée par le BJP et le Front de gauche. NdT.
(3) Fin septembre, le BJP a annoncé la candidature de l’actuel ministre-président de l’Etat de Gujarat, Narendra Modi, au poste de Premier ministre en cas de victoire au Lok Sabha (Parlement) à l’occasion des élections de 2014. En Inde, après l’annonce des résultats des élections législatives, le parti avec le plus grand nombre de sièges forme le gouvernement et choisit le Premier ministre. NdT
(4) L’Eglise Mar Thoma est une Eglise syrienne se réclamant directement de l’évangélisation de saint Thomas l’Apôtre. Appelée également Eglise malankare Mar Thomas, elle fait partie de la Communion anglicane. Son actuel métropolite est Joseph Mar Thoma. NdT.
(5) Mata Amritanandamayi, ou Amma, née le 27 septembre 1953, a fondé le mouvement Embracing the World, dont le siège est au Kerala. Elle prône une religion hindoue universelle dont elle symbolise « la vocation d’amour » en étreignant au cours de ‘darshan’ (assemblées) des millions d’individus dans ses bras. NdT.
(6) Mgr Arackal, à la tête de l’éparchie de Kanjirapally, est évêque de l’Eglise catholique de rite syro-malabare. Cette Eglise compte près de 4 millions de fidèles, dont la très grande majorité se trouve au Kerala, son foyer historique. Après la communauté latine, elle représente, par le nombre des fidèles, la deuxième Eglise catholique d’Inde.
(Source: Eglises d'Asie, 4 octobre 2013)