Certaines minorités ethniques de Birmanie sont en conflit armé meurtrier avec l’armée birmane depuis plusieurs années. Les mots du pape et la couverture médiatique de l’événement leur ont redonné espoir.

« Cette visite papale est une première historique pour le pays. Jamais je n’aurais cru voir le pape un jour dans ma vie, déclare une femme très émue, c’est une chance unique ... C’était tellement impensable pour moi. » La messe célébrée mercredi 29 novembre par le pape François au stade Kyaikkasan a rassemblé près de 40 % de la population catholique totale du pays. Venus des 16 diocèses du pays, mais surtout des villes et villages du Nord, qui compte la majorité des fidèles chrétiens, ils étaient plus de 150 000 fidèles rassemblés sur un vaste terrain de sport dans le centre-ville de Rangoun, sous un soleil de plomb malgré l’heure matinale.

Pour la plupart, ils ont fait plusieurs jours de voyage en bus, à pied ou en train pour venir jusqu’à Rangoun. « J’ai marché trois jours depuis mon village, puis j’ai pris le train jusqu’ici, encore deux jours. Nous sommes une délégation de 6 000 personnes » raconte fièrement un homme des environs de Myitkyina, la capitale de l’Etat kachin, à la frontière chinoise. Des délégations d’Asie du Sud-Est, en particulier du Vietnam, du Cambodge, de Thaïlande sont également venus à la rencontre du pape François. « Nous prions intensément afin que ce voyage puisse constituer un moment spécial et le début d’une époque de paix durable et de réconciliation pour la Birmanie » a notamment confié à l’agence Fides Mgr Olivier Schmitthaeusler, vicaire apostolique de Phnom Penh, au Cambodge.

Des fidèles venus des 16 diocèses du pays … et d’ailleurs

Dans la foule, beaucoup de foulards colorés noués sur la tête des hommes, des robes brodées de pièces d’argent pour les femmes : certains membres des 135 minorités ethniques du pays avaient revêtu leurs tenues traditionnelles pour honorer le souverain pontife. Le clergé birman était là au grand complet, vêtu d’étoles vertes brodées de la fleur de padouck, l’emblème du Myanmar.

La plupart des chrétiens de Birmanie appartiennent à des minorités ethniques : Kachins, Shans, Karens, ... Selon le dernier recensement dont les résultats ont été publiés en juillet 2016, la population chrétienne, minoritaire, est de plus en plus nombreuse, formant 6,2 % de la population de Birmanie. « Cette hausse s’explique surtout par les populations animistes qui ont rejoint la religion chrétienne » expliquait le cardinal Charles Bo à Eglises d’Asie. Ultra-minoritaires, les catholiques, dont le premier missionnaire est arrivé en 1510, représentent 1,2% de la population.

Sur place, les catholiques birmans ont fait preuve d’une vraie joie et d’une réelle dévotion. Une ferveur et une émotion qui contrastent avec la relative indifférence de leurs concitoyens dans les rues de Rangoun. Le souverain pontife, lui, s’est adressé à tous, portant une parole de paix et de pardon « pour tous ceux qui considèrent le Myanmar comme chez eux. » Et de déclarer : « Je sais que beaucoup d’entre vous au Myanmar, portent les blessures de la violence, qu’elles soient visibles ou invisibles, la tentation serait de répondre à cette violence avec une sagesse mondaine (...) qui nous conduirait à la vengeance, mais la vengeance n’est pas la voie de Jésus. »

« Le Saint Père a béni notre mère patrie, cela va nous apporter la paix »

Connu pour son franc-parler, le Saint-Père n’a pas prononcé le mot de « Rohingya », nom de cette minorité musulmane apatride de l’ouest de la Birmanie dont 600 000 membres ont fui vers le Bangladesh ces trois derniers mois. Il a ainsi suivi les recommandations de la conférence épiscopales et du premier cardinal de l’histoire du pays, le cardinal Charles Bo, qui redoutait que l’utilisation de ce terme provoque « de nouvelles violences contre les musulmans ou contre les chrétiens ». Pour autant, le pape a appelé au « respect de la dignité et des droits de tout membre de la société, [au] respect de tout groupe ethnique et de son identité » (1).

Les paroles d’espérance du Saint-Père sont allées droit au cœur de nombreuses minorités ethniques en proie à de violents conflits avec l’armée birmane. Les Kachins notamment, à nouveau en conflit ouvert avec le pouvoir central depuis 2011. Leur puissante armée rebelle, la Kachin Independance Army (KIA) tient tête à la Tatmadaw et conserve fermement ses positions sur une bonne portion du territoire, à la frontière chinoise. Cette guerre civile a déjà fait des milliers de morts et plus de 120 000 réfugiés. « Le Saint Père a béni notre mère patrie, cela va nous apporter la paix » espère un jeune catéchiste Kachin.

Des membres des ethnies Karens, l’une des principales ethnies minoritaires du pays, en conflit avec les autorités militaires birmanes au lendemain de l’indépendance jusqu’à un cessez-le-feu en 2012, Shans et Was, placés depuis des années dans des camps de déplacés et de réfugiés, sont aussi venus à la rencontre du souverain pontife, pour vivre une expérience d’Eglise et voir que la paix était possible. Une espérance sans naïveté, car les difficultés demeurent, les solutions politiques tardent à venir. « Les soldats nous voient comme des espions à la botte des groupes rebelles, explique Ming Aung Zaw, un résident catholique de Myitkyina. Les prêtres et les religieuses sont systématiquement arrêtés aux checkpoints, leur liberté de circuler est très restreinte. »

Le pape François a tenu à rencontrer l’ensemble des artisans susceptibles de jouer un rôle dans la réconciliation du pays

Si le processus de paix semble au point mort, la visite papale est un espoir pour ces minorités. D'autant que l’énorme couverture médiatique de l’événement offre aux catholique une plateforme de visibilité inédite dans un pays bouddhiste à près de 90%. « Le problème, c’est que nous les chrétiens, nous sommes mal vus, on dit que nous ne sommes pas de bons patriotes, confie Ma Schwe, une femme kachin, mais avec tous les médias qui sont là, j’ai l’espoir que le reste de la société va changer d’opinion à notre sujet et nous accepter comme des citoyens du même pays, à part entière. »

L’approche très diplomatique adoptée par le pape François pourrait influencer favorablement le processus de paix avec les ethnies minoritaires. Surprise de taille, il a réservé la primeur de sa visite au commandant en chef des forces armées, Min Aung Hlaing, pourtant considéré par la communauté internationale comme le boucher des Rohingyas. La rencontre a été décidée au dernier moment, sur les fortes recommandations du cardinal Charles Bo. « Les généraux birmans ne veulent qu’une chose : être reconnu par l’Occident comme des interlocuteurs légitimes » estime Yan Myo Thein, analyste politique birman. L’armée détient toujours 25% de sièges au Parlement ; la Constitution stipule clairement qu’elle n’a pas de compte à rendre au gouvernement civil. Ces éléments sont souvent oubliés par la communauté internationale qui vilipende Aung San Suu Kyi pour n’avoir pas su empêcher le massacre des Rohingyas. Par sa présence et plus encore par ses mots, le pape François est venu apporter son soutien à celle qui avait promis de faire de la résolution des conflits ethniques sa première priorité à un moment où elle est au cœur des critiques internationales. Le jour de l’arrivée du pape François en Birmanie, le gouvernement a d’ailleurs annoncé la troisième session de la Conférence de Panglong, qui aura lieu la dernière semaine de janvier 2018. (eda/ci)

(1) Vendredi 1er décembre, le pape François a rencontré des réfugiés rohingyas à Dacca et leur a demandé pardon pour « l’indifférence » du monde à leur égard. « La présence de Dieu aujourd’hui s’appelle aussi Rohingya » a-t-il notamment déclaré.

(Source: Eglises d'Asie, le 4 décembre 2017)