Comment dire Dieu en chinois ? Pour les catholiques chinois, c’est 天主 (Tianzhu) ; pour les protestants chinois, c’est 上帝 (Shangdi). Le « maître du ciel » d’un côté, l’« empereur d’en-haut » de l’autre. En chinois, pour désigner les protestants, on dit : 基督教 (Ji du jiao, ‘religion du Christ’) ; pour désigner les catholiques, on dit : 天主教 (Tian zhu jiao, ‘religion du maître du ciel’). D’où viennent ces différences ? Que signifient-elles ? Dans le texte ci-dessous, le P. Frans De Ridder, CICM, nous livre des clefs de compréhension (1). La traduction est de la rédaction d’Eglises d’Asie.
Que dit un nom ? Beaucoup ! Bien plus que ce que la plupart des gens imagine. Il peut orienter durablement ce qui fait l’identité d’une personne et de sa mission dans la vie. Nombreux sont les Chinois qui passent des heures et des heures à consulter des livres spécialisés pour trouver le nom « juste » pour leur enfant. Nomen est omen. Le nom est un signe, il confère un message et une mission.
Dieu a-t-il un nom ? C’est une bonne question. La réponse n’est pas si simple. Dans l’Ancien Testament, Moïse et ses contemporains ont débattu cette question. Dieu n’a pas donné son nom. Dieu a seulement répondu : « Je suis Celui qui est ». On pourrait même faire plus court en disant : « Je suis ».
Je suis ! Ce nom peut cependant transmettre un incroyable message pour nombre de nos contemporains postmodernes : « Je suis réel, j’existe ! ». Malgré l’indifférence, les doutes, les prophètes de malheur, les livres et les articles nous serinant que « Dieu est mort »…, Dieu existe vraiment ! Et cette réalité devrait résonner profondément dans nos cœurs.
Un nom peut aussi donner une fausse indication ou devenir une cause d’embarras. Une très sainte femme à Taiwan a donné comme nom à son fils : 聖光… (sheng guang ou ‘lumière sainte’). Cet homme simple et bon s’en est presque excusé en disant : « Père, je ne suis pas digne de ce nom. »
Dieu a-t-il un nom ? Est-ce que Dieu est en accord avec le nom que les hommes lui ont donné au cours de l’histoire humaine ? Devons-nous lui donner un autre nom ? Ou devons-nous simplement observer un profond silence respectueux, submergés de respect et d’émerveillement en présence de l’« Unique » que nous ne pouvons nommer.
Nommer…, donner un nom à quelqu’un signifie que j’ai un pouvoir sur lui, que je donne à l’autre une destinée… que j’ai l’autre en mon pouvoir. Voilà pourquoi nous ne pouvons nommer Dieu.
De plus, que signifient ces quatre lettres D I E U ?
Quand le christianisme a été apporté en Chine, le défi fut grand. Comment appeler cet être suprême, cette réalité ultime, l’origine de tout ce qui existe dans la langue chinoise ? Les peuples puisent des mots dans leur langage… afin d’exprimer ce qu’est (ou ce qui est) grand, tout-puissant, omnipotent, suprême… Certains de ces concepts sont tirés de leur propre expérience culturelle chinoise : un roi 王 (wang), un empereur 皇帝 (huangdi). Mais les Chinois ont réalisé que ce Dieu que les missionnaires appelaient aussi bon et aimant devait être une coudée au-dessus de leurs autorités régnantes.
C’est pourquoi ils mirent le caractère « cieux » 天 (tian) devant l’idéogramme « roi » faisant ainsi de « dieu » un roi des cieux 天王 (tianwang). D’autres, dans la tradition protestante, mirent le mot « au-dessus » 上 (shang) devant le terme « empereur » 帝 (di), faisant ainsi de « dieu » 上帝 (shangdi) un empereur suprême.
Peut-être vais-je trop vite et je néglige un aspect. Dans la tradition catholique, nous n’appelons pas « dieu » le roi des cieux. Dieu est appelé le Seigneur des cieux 天主 (tianzhu). Un lecteur attentif pourrait percevoir les similitudes et les dissemblances entre « roi » 王 et « seigneur » 主.
La différence est le petit accent mis sur 王. Sans doute le génie de la langue chinoise a été de percevoir que « dieu » n’est pas juste n’importe quel roi… Il est un roi très élevé, unique. Ce qui explique la présence de cet accent sur le王 (wang) ; celui-ci devenant 主 (zhu).
Il est intéressant de noter que dans l’Ancien Testament, Dieu est aussi appelé Seigneur. Et comme catholique, seul Jésus est appelé par nous Seigneur.
Il est peut-être temps de se pencher sur « roi » 王.
Nous voyons trois lignes horizontales : 三 (san). Elles représentent le chiffre trois ! Trois est un célèbre idéogramme qui a des centaines de combinaisons et des sens innombrables. 諸候之寶三
(zhu hou zhi bao san) : Mencius a dit : le trésor d’un prince est triple : le territoire, le peuple, le gouvernement et ses activités.
三寶 (san bao): dans le bouddhisme, il y a les trois trésors : Buddha, la sangha et le dharma. Tout ce qui est complet doit être exprimé à l’aide du concept trois 三.
(On peut se demander si ce ne sont pas les chinois qui ont appris aux jésuites à toujours faire leurs homélies en trois points !)
三不知 (san bu zhi) : être ignorant du début à la fin d’un sujet en passant par le milieu. Là, les trois lignes horizontales représentent le passé, le présent et l’avenir.
三思而後行 (san si er hou xing) : Pense trois fois avant d’agir. Regarde avant de sauter !
三人成虎 (san ren cheng hu, ‘Trois hommes font un tigre’) : Répète trois fois un mensonge et tout le monde te croira. Un mensonge sera pris comme une vérité s’il est suffisamment répété.
三人行必有我師 (san ren xing, bi you wo shi) : Si trois personnes sont réunies, l’une au moins peut être mon professeur.
三年有成 (san nian you cheng) : Trois ans de dur labeur seront couronnés de succès.
Revenant à l’expression 三不知 (san bu zhi), qui signifie être ignorant du début, au milieu et jusqu’à la fin d’un sujet, j’ai l’intuition que les trois lignes horizontales représentent le passé, le présent et le futur. Cela peut aussi signifier les enfers, la vie présente et la vie future. D’après cette interprétation, celui qui règne a autorité sur les enfers, la terre et les cieux. N’oubliez pas que dans notre Credo nous confessons que le Seigneur (après sa résurrection) « descendit aux enfers » afin de proclamer sa royauté sur le mal et le péché, y compris la mort.
Mon intuition est que ces trois lignes horizontales doivent être reliées et devenir une afin d’être réellement à la tête et de recevoir toute autorité. C’est pourquoi il est tracé une ligne verticale reliant les trois autres : nous avons notre « roi » 王.
Mon intuition chrétienne est que nous pouvons nous appuyer sur cet idéogramme pour le mystère de la Sainte Trinité. La traduction chinoise pour la Trinité est : 三位一體 (san wei yi ti), les trois personnes 三位 en un seul corps 一體 (une unité ou l’unité). Il est certain que les termes « personne » et « corps » ont un sens parfois trompeur dans les langues occidentales. J’aborde là un terrain qui n’est pas le mien mais plutôt celui des théologiens professionnels.
En écrivant au sujet de la traduction catholique du nom de Dieu, je suis encore plus convaincu et même séduit par la signification profonde que des générations de Chinois ont attribuée au nom de Dieu. Cette riche signification est peut-être la raison pour laquelle les missionnaires catholiques ont choisi 天主 (tianzhu), le Seigneur des cieux. Cela signifie que Dieu, quel que soit le terme que l’on utilise pour le nommer, est réel et qu’il a réellement la situation en main.
Dans un prochain article, je vous livrerai le fruit de quelques recherches sur la tradition protestante de 上帝 (shangdi) ou empereur suprême.
On peut juste dire que pour les Chinois…, l’empereur est « dieu » et que cela était la réalité au Japon jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Mais ceci fera l’objet d’un troisième article !
(1) D’origine belge, le P. Frans De Ridder est missionnaire, membre de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie. Provincial des ‘scheutistes’ (les CICM) pour la Mongolie, la Chine, Hongkong, Taiwan et Singapour, il réside à Taiwan. Il se rend régulièrement sur le continent chinois pour y animer des sessions de formation et des retraites.
(Source: Eglises d'Asie, 14 février 2012)
Que dit un nom ? Beaucoup ! Bien plus que ce que la plupart des gens imagine. Il peut orienter durablement ce qui fait l’identité d’une personne et de sa mission dans la vie. Nombreux sont les Chinois qui passent des heures et des heures à consulter des livres spécialisés pour trouver le nom « juste » pour leur enfant. Nomen est omen. Le nom est un signe, il confère un message et une mission.
Dieu a-t-il un nom ? C’est une bonne question. La réponse n’est pas si simple. Dans l’Ancien Testament, Moïse et ses contemporains ont débattu cette question. Dieu n’a pas donné son nom. Dieu a seulement répondu : « Je suis Celui qui est ». On pourrait même faire plus court en disant : « Je suis ».
Je suis ! Ce nom peut cependant transmettre un incroyable message pour nombre de nos contemporains postmodernes : « Je suis réel, j’existe ! ». Malgré l’indifférence, les doutes, les prophètes de malheur, les livres et les articles nous serinant que « Dieu est mort »…, Dieu existe vraiment ! Et cette réalité devrait résonner profondément dans nos cœurs.
Un nom peut aussi donner une fausse indication ou devenir une cause d’embarras. Une très sainte femme à Taiwan a donné comme nom à son fils : 聖光… (sheng guang ou ‘lumière sainte’). Cet homme simple et bon s’en est presque excusé en disant : « Père, je ne suis pas digne de ce nom. »
Dieu a-t-il un nom ? Est-ce que Dieu est en accord avec le nom que les hommes lui ont donné au cours de l’histoire humaine ? Devons-nous lui donner un autre nom ? Ou devons-nous simplement observer un profond silence respectueux, submergés de respect et d’émerveillement en présence de l’« Unique » que nous ne pouvons nommer.
Nommer…, donner un nom à quelqu’un signifie que j’ai un pouvoir sur lui, que je donne à l’autre une destinée… que j’ai l’autre en mon pouvoir. Voilà pourquoi nous ne pouvons nommer Dieu.
De plus, que signifient ces quatre lettres D I E U ?
Quand le christianisme a été apporté en Chine, le défi fut grand. Comment appeler cet être suprême, cette réalité ultime, l’origine de tout ce qui existe dans la langue chinoise ? Les peuples puisent des mots dans leur langage… afin d’exprimer ce qu’est (ou ce qui est) grand, tout-puissant, omnipotent, suprême… Certains de ces concepts sont tirés de leur propre expérience culturelle chinoise : un roi 王 (wang), un empereur 皇帝 (huangdi). Mais les Chinois ont réalisé que ce Dieu que les missionnaires appelaient aussi bon et aimant devait être une coudée au-dessus de leurs autorités régnantes.
C’est pourquoi ils mirent le caractère « cieux » 天 (tian) devant l’idéogramme « roi » faisant ainsi de « dieu » un roi des cieux 天王 (tianwang). D’autres, dans la tradition protestante, mirent le mot « au-dessus » 上 (shang) devant le terme « empereur » 帝 (di), faisant ainsi de « dieu » 上帝 (shangdi) un empereur suprême.
Peut-être vais-je trop vite et je néglige un aspect. Dans la tradition catholique, nous n’appelons pas « dieu » le roi des cieux. Dieu est appelé le Seigneur des cieux 天主 (tianzhu). Un lecteur attentif pourrait percevoir les similitudes et les dissemblances entre « roi » 王 et « seigneur » 主.
La différence est le petit accent mis sur 王. Sans doute le génie de la langue chinoise a été de percevoir que « dieu » n’est pas juste n’importe quel roi… Il est un roi très élevé, unique. Ce qui explique la présence de cet accent sur le王 (wang) ; celui-ci devenant 主 (zhu).
Il est intéressant de noter que dans l’Ancien Testament, Dieu est aussi appelé Seigneur. Et comme catholique, seul Jésus est appelé par nous Seigneur.
Il est peut-être temps de se pencher sur « roi » 王.
Nous voyons trois lignes horizontales : 三 (san). Elles représentent le chiffre trois ! Trois est un célèbre idéogramme qui a des centaines de combinaisons et des sens innombrables. 諸候之寶三
(zhu hou zhi bao san) : Mencius a dit : le trésor d’un prince est triple : le territoire, le peuple, le gouvernement et ses activités.
三寶 (san bao): dans le bouddhisme, il y a les trois trésors : Buddha, la sangha et le dharma. Tout ce qui est complet doit être exprimé à l’aide du concept trois 三.
(On peut se demander si ce ne sont pas les chinois qui ont appris aux jésuites à toujours faire leurs homélies en trois points !)
三不知 (san bu zhi) : être ignorant du début à la fin d’un sujet en passant par le milieu. Là, les trois lignes horizontales représentent le passé, le présent et l’avenir.
三思而後行 (san si er hou xing) : Pense trois fois avant d’agir. Regarde avant de sauter !
三人成虎 (san ren cheng hu, ‘Trois hommes font un tigre’) : Répète trois fois un mensonge et tout le monde te croira. Un mensonge sera pris comme une vérité s’il est suffisamment répété.
三人行必有我師 (san ren xing, bi you wo shi) : Si trois personnes sont réunies, l’une au moins peut être mon professeur.
三年有成 (san nian you cheng) : Trois ans de dur labeur seront couronnés de succès.
Revenant à l’expression 三不知 (san bu zhi), qui signifie être ignorant du début, au milieu et jusqu’à la fin d’un sujet, j’ai l’intuition que les trois lignes horizontales représentent le passé, le présent et le futur. Cela peut aussi signifier les enfers, la vie présente et la vie future. D’après cette interprétation, celui qui règne a autorité sur les enfers, la terre et les cieux. N’oubliez pas que dans notre Credo nous confessons que le Seigneur (après sa résurrection) « descendit aux enfers » afin de proclamer sa royauté sur le mal et le péché, y compris la mort.
Mon intuition est que ces trois lignes horizontales doivent être reliées et devenir une afin d’être réellement à la tête et de recevoir toute autorité. C’est pourquoi il est tracé une ligne verticale reliant les trois autres : nous avons notre « roi » 王.
Mon intuition chrétienne est que nous pouvons nous appuyer sur cet idéogramme pour le mystère de la Sainte Trinité. La traduction chinoise pour la Trinité est : 三位一體 (san wei yi ti), les trois personnes 三位 en un seul corps 一體 (une unité ou l’unité). Il est certain que les termes « personne » et « corps » ont un sens parfois trompeur dans les langues occidentales. J’aborde là un terrain qui n’est pas le mien mais plutôt celui des théologiens professionnels.
En écrivant au sujet de la traduction catholique du nom de Dieu, je suis encore plus convaincu et même séduit par la signification profonde que des générations de Chinois ont attribuée au nom de Dieu. Cette riche signification est peut-être la raison pour laquelle les missionnaires catholiques ont choisi 天主 (tianzhu), le Seigneur des cieux. Cela signifie que Dieu, quel que soit le terme que l’on utilise pour le nommer, est réel et qu’il a réellement la situation en main.
Dans un prochain article, je vous livrerai le fruit de quelques recherches sur la tradition protestante de 上帝 (shangdi) ou empereur suprême.
On peut juste dire que pour les Chinois…, l’empereur est « dieu » et que cela était la réalité au Japon jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. Mais ceci fera l’objet d’un troisième article !
(1) D’origine belge, le P. Frans De Ridder est missionnaire, membre de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie. Provincial des ‘scheutistes’ (les CICM) pour la Mongolie, la Chine, Hongkong, Taiwan et Singapour, il réside à Taiwan. Il se rend régulièrement sur le continent chinois pour y animer des sessions de formation et des retraites.
(Source: Eglises d'Asie, 14 février 2012)