« Cette nouvelle est un choc. Nous avons perdu un grand ami et un adversaire déterminé de la loi sur le blasphème. » C’est en ces termes que Mgr Lawrence Saldanha, archevêque de Lahore et président de la Conférence des évêques catholiques du Pakistan, a joint sa voix à celles, très nombreuses dans le pays et sur la scène internationale, qui ont vivement déploré l’assassinat, le 4 janvier dernier, de Salman Taseer, gouverneur de la province du Pendjab. De religion musulmane, Salman Taseer, 65 ans, a trouvé la mort sur le parking d’un restaurant d’Islamabad, capitale du Pakistan, abattu d’une rafale de Kalachnikov par l’un de ses gardes du corps.
S’étant rendu immédiatement après avoir commis son crime, le garde du corps a déclaré: « J’ai tué le gouverneur car il avait qualifié les lois anti-blasphème de kala kanoon (‘loi noire’). » Malik Mumtaz Hussain Qadri appartenait à une section d’élite de la province du Pendjab chargée de la sécurité des hautes personnalités. Les premiers éléments de l’enquête ne permettent pas de dire s’il a agi seul ou a bénéficié de complicités au sein de l’appareil policier pakistanais.
Les articles 295-B et 295-C du Code pénal pakistanais, qui punissent de la peine de mort toute offense faite à Mahomet et de la prison à perpétuité toute profanation du Coran, sont dénoncées depuis des années par les militants des droits de l’homme au Pakistan comme des lois iniques, le plus souvent détournées pour régler des litiges personnels. Pour les minorités religieuses du pays, ces lois sont considérées comme un instrument de persécution particulièrement néfaste, dans la mesure où elles constituent « une épée de Damoclès » pour les minorités religieuses et peuvent être à tout moment utilisées par un musulman contre un non-musulman sans que celui-ci puisse avoir grande chance de se défendre (1).
Ces dernières semaines, Salman Taseer était devenu la cible des attaques verbales des islamistes. Le gouverneur du Pendjab, la province la plus riche et la plus peuplée du pays, s’était en effet engagé dans l’affaire Asia Bibi, du nom de cette chrétienne, mère de cinq enfants, qui a été condamnée à mort par un tribunal du Pendjab le 7 novembre dernier au titre de la loi sur le blasphème. Face à la dimension prise par cette affaire dans les médias nationaux et internationaux, Salman Taseer avait rendu visite à la chrétienne, maintenue en détention depuis son arrestation en juin 2009 (2). Il avait souhaité que cette visite reste discrète mais, après que les médias locaux s’en soient fait l’écho, il avait expliqué avoir voulu entendre directement la jeune femme et lui avoir demandé de signer une pétition qu’il s’apprêtait à envoyer à Asif Ali Zardari, le président pakistanais. La pétition demandait au chef de l’Etat de gracier Asia Bibi. Une fois cette visite révélée, les islamistes ont pris le gouverneur pour cible.
Le 24 novembre, des mollahs ont déclaré que Salman Taseer était un apostat, le qualifiant d’« infidèle ». Selon l’agence Ucanews (3), un homme politique musulman de Multan, ville du Pendjab, avait promis une récompense de 20 millions de roupies (177 000 euros) pour son assassinat. Face aux pressions des islamistes, le président Zardari avait renoncé à faire remettre en liberté Asia Bibi, mais les islamistes n’en ont pas pour autant relâché leurs pressions sur Salman Taseer. Des partis islamistes ont organisé des manifestations devant les bureaux du gouverneur à Lahore, promettant une réaction de forte ampleur au cas où la chrétienne était libérée ou si les lois anti-blasphème étaient amendées.
Mgr Saldanha connaissait Salman Taseer de longue date, depuis l’époque où le jeune Taseer était élève de la St. Anthony’s School de Lahore, un établissement des frères maristes qui a formé – et forme encore – une partie de l’élite pakistanaise. La dernière rencontre entre les deux hommes était très récente, a rapporté le prélat. « Le gouverneur m’avait invité à sa résidence le 23 décembre, pour un dîner de Noël. Après que je l’ai remercié pour son soutien en faveur d’Asia [Bibi], il a dénoncé avec force la loi sur le blasphème. Je ne peux que déplorer que la nouvelle année s’ouvre sur la triste nouvelle de son assassinat. C’est vraiment une grande perte pour nous », a précisé Mgr Saldanha.
Pour le ministre fédéral des Minorités, le catholique Shahbaz Bhatti, le motif religieux invoqué par l’assassin du gouverneur est plus qu’inquiétant. Salman Taseer « avait été déclaré wajib ul qatal (apostat) et il avait reçu des menaces parce qu’il avait dénoncé le mauvais usage qui est fait des lois anti-blasphème. Je souhaite qu’une enquête soit diligentée en direction de ceux qui ont émis des fatwa à son encontre sur la place publique », a déclaré le ministre, qui s’estime lui aussi très concerné par cette affaire. Depuis que le président Zardari lui a demandé de former un comité d’experts et d’universitaires afin de réfléchir à la manière de prévenir l’utilisation de la loi sur le blasphème pour régler des litiges personnels ou rechercher un gain politique, des groupes extrémistes ont en effet annoncé qu’une fatwa avait été émise à l’encontre de Shahbaz Bhatti.
Pour les éditorialistes de la presse pakistanaise, l’assassinat de Salman Taseer pose au gouvernement un vrai problème de sécurité. Comment assurer la sécurité des élites politiques s’il se produit au Pakistan la même chose qu’en Inde, où, en 1984, le Premier ministre Indira Gandhi avait été assassinée par deux de ses gardes du corps sikhs, qui lui reprochait d’avoir envoyé l’armée indienne à l’assaut du Harimandir Sahib, le Temple d’or à Amritsar ? Plus fondamentalement, quelle place reste-t-il à la liberté de pensée et d’expression au Pakistan s’il y est impossible de discuter de la loi sur le blasphème ? Les milieux modérés se trouvent pris entre les extrémistes religieux et la guerre contre le terrorisme. Toute tentative pour modifier les lois anti-blasphème est immédiatement vilipendée par les extrémistes musulmans comme étant une réforme téléguidée par les Etats-Unis, assimilés à un Etat chrétien.
Musulman né dans une famille d’intellectuels sans fortune particulière, formé en partie en Angleterre, Salman Taseer était devenu un homme d’affaires prospère, tout en s’engageant tôt en politique. Admirateur de Zulfikar Ali Bhutto (à la tête du Pakistan de 1971 à 1977), il s’opposa à Zia ul-Haq (président du Pakistan de 1978 à 1988), ce qui lui valut en 1983, alors qu’il était membre du Mouvement pour la restauration de la démocratie, d’être arrêté et longuement torturé. Militant dès les années 1960 du PPP (Parti du peuple pakistanais), le parti du clan Bhutto, il n’hésitait pas à se confronter au PML-N (Ligue musulmane du Pakistan - Nawaz) de Nawaz Sharif, y compris physiquement (en 1988, il fut passé à tabac par des hommes de main de Nawaz Sharif, récoltant au passage plusieurs fractures). Propriétaire du Daily Times, Salman Taseer était un ardent avocat de la démocratie et des valeurs libérables, combattant pour les droits des femmes ou encore ceux des ahmadis. Allié de Benazir Bhutto (tuée lors d’un attentat suicide à l’issue d’un meeting à Rawalpindi le 27 décembre 2007), il fut ministre de l’Industrie de Pervez Musharraf, avant d’être nommé, en 2008, gouverneur de la province du Pendjab, un poste plus honorifique que doté de réels pouvoirs mais d’où il faisait entendre sa voix de défenseur des libertés.
Les funérailles de Salman Taseer ont eu lieu le 5 janvier 2011 à Lahore. Le gouvernement pakistanais leur a donné le rang de funérailles d’Etat et un deuil national de trois jours a été décrété.
(1) Voir le ‘Pour approfondir - Pakistan’ diffusé le 4 janvier 2011 par Eglises d’Asie.
(2) Voir EDA 540
(3) Ucanews, 5 janvier 2011.
(Source: Eglises d'Asie, 5 janvier 2011)
S’étant rendu immédiatement après avoir commis son crime, le garde du corps a déclaré: « J’ai tué le gouverneur car il avait qualifié les lois anti-blasphème de kala kanoon (‘loi noire’). » Malik Mumtaz Hussain Qadri appartenait à une section d’élite de la province du Pendjab chargée de la sécurité des hautes personnalités. Les premiers éléments de l’enquête ne permettent pas de dire s’il a agi seul ou a bénéficié de complicités au sein de l’appareil policier pakistanais.
Les articles 295-B et 295-C du Code pénal pakistanais, qui punissent de la peine de mort toute offense faite à Mahomet et de la prison à perpétuité toute profanation du Coran, sont dénoncées depuis des années par les militants des droits de l’homme au Pakistan comme des lois iniques, le plus souvent détournées pour régler des litiges personnels. Pour les minorités religieuses du pays, ces lois sont considérées comme un instrument de persécution particulièrement néfaste, dans la mesure où elles constituent « une épée de Damoclès » pour les minorités religieuses et peuvent être à tout moment utilisées par un musulman contre un non-musulman sans que celui-ci puisse avoir grande chance de se défendre (1).
Ces dernières semaines, Salman Taseer était devenu la cible des attaques verbales des islamistes. Le gouverneur du Pendjab, la province la plus riche et la plus peuplée du pays, s’était en effet engagé dans l’affaire Asia Bibi, du nom de cette chrétienne, mère de cinq enfants, qui a été condamnée à mort par un tribunal du Pendjab le 7 novembre dernier au titre de la loi sur le blasphème. Face à la dimension prise par cette affaire dans les médias nationaux et internationaux, Salman Taseer avait rendu visite à la chrétienne, maintenue en détention depuis son arrestation en juin 2009 (2). Il avait souhaité que cette visite reste discrète mais, après que les médias locaux s’en soient fait l’écho, il avait expliqué avoir voulu entendre directement la jeune femme et lui avoir demandé de signer une pétition qu’il s’apprêtait à envoyer à Asif Ali Zardari, le président pakistanais. La pétition demandait au chef de l’Etat de gracier Asia Bibi. Une fois cette visite révélée, les islamistes ont pris le gouverneur pour cible.
Le 24 novembre, des mollahs ont déclaré que Salman Taseer était un apostat, le qualifiant d’« infidèle ». Selon l’agence Ucanews (3), un homme politique musulman de Multan, ville du Pendjab, avait promis une récompense de 20 millions de roupies (177 000 euros) pour son assassinat. Face aux pressions des islamistes, le président Zardari avait renoncé à faire remettre en liberté Asia Bibi, mais les islamistes n’en ont pas pour autant relâché leurs pressions sur Salman Taseer. Des partis islamistes ont organisé des manifestations devant les bureaux du gouverneur à Lahore, promettant une réaction de forte ampleur au cas où la chrétienne était libérée ou si les lois anti-blasphème étaient amendées.
Mgr Saldanha connaissait Salman Taseer de longue date, depuis l’époque où le jeune Taseer était élève de la St. Anthony’s School de Lahore, un établissement des frères maristes qui a formé – et forme encore – une partie de l’élite pakistanaise. La dernière rencontre entre les deux hommes était très récente, a rapporté le prélat. « Le gouverneur m’avait invité à sa résidence le 23 décembre, pour un dîner de Noël. Après que je l’ai remercié pour son soutien en faveur d’Asia [Bibi], il a dénoncé avec force la loi sur le blasphème. Je ne peux que déplorer que la nouvelle année s’ouvre sur la triste nouvelle de son assassinat. C’est vraiment une grande perte pour nous », a précisé Mgr Saldanha.
Pour le ministre fédéral des Minorités, le catholique Shahbaz Bhatti, le motif religieux invoqué par l’assassin du gouverneur est plus qu’inquiétant. Salman Taseer « avait été déclaré wajib ul qatal (apostat) et il avait reçu des menaces parce qu’il avait dénoncé le mauvais usage qui est fait des lois anti-blasphème. Je souhaite qu’une enquête soit diligentée en direction de ceux qui ont émis des fatwa à son encontre sur la place publique », a déclaré le ministre, qui s’estime lui aussi très concerné par cette affaire. Depuis que le président Zardari lui a demandé de former un comité d’experts et d’universitaires afin de réfléchir à la manière de prévenir l’utilisation de la loi sur le blasphème pour régler des litiges personnels ou rechercher un gain politique, des groupes extrémistes ont en effet annoncé qu’une fatwa avait été émise à l’encontre de Shahbaz Bhatti.
Pour les éditorialistes de la presse pakistanaise, l’assassinat de Salman Taseer pose au gouvernement un vrai problème de sécurité. Comment assurer la sécurité des élites politiques s’il se produit au Pakistan la même chose qu’en Inde, où, en 1984, le Premier ministre Indira Gandhi avait été assassinée par deux de ses gardes du corps sikhs, qui lui reprochait d’avoir envoyé l’armée indienne à l’assaut du Harimandir Sahib, le Temple d’or à Amritsar ? Plus fondamentalement, quelle place reste-t-il à la liberté de pensée et d’expression au Pakistan s’il y est impossible de discuter de la loi sur le blasphème ? Les milieux modérés se trouvent pris entre les extrémistes religieux et la guerre contre le terrorisme. Toute tentative pour modifier les lois anti-blasphème est immédiatement vilipendée par les extrémistes musulmans comme étant une réforme téléguidée par les Etats-Unis, assimilés à un Etat chrétien.
Musulman né dans une famille d’intellectuels sans fortune particulière, formé en partie en Angleterre, Salman Taseer était devenu un homme d’affaires prospère, tout en s’engageant tôt en politique. Admirateur de Zulfikar Ali Bhutto (à la tête du Pakistan de 1971 à 1977), il s’opposa à Zia ul-Haq (président du Pakistan de 1978 à 1988), ce qui lui valut en 1983, alors qu’il était membre du Mouvement pour la restauration de la démocratie, d’être arrêté et longuement torturé. Militant dès les années 1960 du PPP (Parti du peuple pakistanais), le parti du clan Bhutto, il n’hésitait pas à se confronter au PML-N (Ligue musulmane du Pakistan - Nawaz) de Nawaz Sharif, y compris physiquement (en 1988, il fut passé à tabac par des hommes de main de Nawaz Sharif, récoltant au passage plusieurs fractures). Propriétaire du Daily Times, Salman Taseer était un ardent avocat de la démocratie et des valeurs libérables, combattant pour les droits des femmes ou encore ceux des ahmadis. Allié de Benazir Bhutto (tuée lors d’un attentat suicide à l’issue d’un meeting à Rawalpindi le 27 décembre 2007), il fut ministre de l’Industrie de Pervez Musharraf, avant d’être nommé, en 2008, gouverneur de la province du Pendjab, un poste plus honorifique que doté de réels pouvoirs mais d’où il faisait entendre sa voix de défenseur des libertés.
Les funérailles de Salman Taseer ont eu lieu le 5 janvier 2011 à Lahore. Le gouvernement pakistanais leur a donné le rang de funérailles d’Etat et un deuil national de trois jours a été décrété.
(1) Voir le ‘Pour approfondir - Pakistan’ diffusé le 4 janvier 2011 par Eglises d’Asie.
(2) Voir EDA 540
(3) Ucanews, 5 janvier 2011.
(Source: Eglises d'Asie, 5 janvier 2011)