Malgré le refus des autorités vietnamiennes de restituer des terrains qu’ils revendiquent depuis plus d’un an, les catholiques ne s’estiment pas perdants dans les conflits qui les opposent au pouvoir

Les ouvriers posent des dalles. Pellettent du sable. Chargent des pavés. Arrosent des arbustes encore frêles. Peu à peu embellit le tout nouveau parc public de Hang Trong, situé dans le quartier historique de la capitale vietnamienne, à deux pas de la cathédrale. Il est encore en travaux, mais déjà, deux panneaux tout neufs plantés au milieu de la verdure marquent les lieux. Le premier donne le nom du parc. Le second indique que la splendide bâtisse située derrière les carrés de jeune pelouse deviendra une bibliothèque publique. Des artisans perchés sur des échafaudages remplacent les fenêtres de cet imposant bâtiment, ancienne délégation apostolique du Vatican à Hanoï.

Les catholiques réclament publiquement la restitution de cette propriété. Depuis décembre 2007, des centaines de fidèles se sont régulièrement regroupés pour prier ostensiblement sur ces terres confisquées par le pouvoir communiste en 1954, et la police les a brutalisés. Plus loin du centre-ville, dans la paroisse de Thai Ha, les mêmes revendications territoriales exprimées pacifiquement ont été traitées à coups de matraques électriques par les forces de l’ordre de Hanoï. C’était en septembre. Il y eut huit arrestations et deux incarcérations.

« Nous avons gagné ces conflits à 50 % », témoigne de façon surprenante un des manifestants appréhendés. Lors d’une prière collective en janvier dernier, il avait osé enjamber le mur d’enceinte de la délégation apostolique. La police l’avait battu. Ses hurlements avaient alerté les manifestants qui s’étaient portés à son secours pour le libérer. Sous étroite surveillance depuis, il préfère taire son nom mais ne cache pas son optimisme.

Des lettres de soutien à la paroisse dissidente

« Ces terrains auraient pu être privatisés ou cédés individuellement à des proches du Parti communiste pour leur intérêt personnel. Aujourd’hui, ils sont transformés en parcs. Tout le monde pourra en profiter », argumente-t il. D’après lui, c’est la pression des milliers de fidèles catholiques qui a permis ce résultat intermédiaire. La communauté estime qu’elle sort grandie de ce conflit.

Satisfaction supplémentaire, les catholiques ont l’impression d’avoir relayé les revendications d’une société qui ose rarement les exprimer. Ils ont servi de porte-parole. Leurs doléances dépassaient le cadre strict des terrains saisis illégalement. « Nous avons aussi publiquement réclamé la justice sociale, l’égalité des droits entre les citoyens et la liberté de parole. Nous nous sommes opposés à la corruption, explique un des religieux rédemptoristes de Thai Ha. Même si les paroissiens n’avaient pas l’intention de se faire les représentants de la population, leurs actions ont naturellement exprimé les véritables attentes des Vietnamiens ordinaires. »

La communauté catholique (6 % de la population vietnamienne) a d’ailleurs manifesté sa reconnaissance à cette paroisse dissidente pour son audace. Ses prêtres ont reçu des lettres de soutien de croyants de tout le pays. Ils regrettent que les autres groupes religieux ne se soient pas mobilisés de la même manière. De fait, les protestants – l’Église évangélique réclame 265 propriétés – n’ont pas officiellement soutenu les catholiques dans leur bras de fer.

Un mouvement pacifique historique

Qu’importe si la société dans son ensemble n’est pas encore prête à se dresser face aux autorités, les catholiques espèrent que cette épreuve de force donnera du courage aux opprimés, aux sans-terre et à ceux qui ont vu que la contestation du pouvoir était possible. « En plus de cinquante ans de communisme, c’est l’opposition la plus importante à la politique foncière des autorités qui s’est exprimée. Et les catholiques sont fiers de l’avoir menée », dit un croyant de Hanoï.

Ce mouvement pacifique est historique. Tant et si bien que l’on a cherché à y voir la manifestation d’une opposition politique, et pas seulement sociale. « Certains catholiques se rapprochent de la dissidence, alors qu’il y avait peu de relations auparavant. Après les violences de Thai Ha, j’ai reçu la visite et des appels téléphoniques de quelques manifestants qui voulaient partager avec moi leurs idées politiques », explique un dissident de Hanoï. Mais le rapprochement reste timide pour l’instant.

Depuis les heurts à la délégation apostolique et à Thai Ha, les catholiques souffrent d’une image de fauteurs de troubles dessinée par les autorités qui ont lancé une campagne de désinformation. Elles ont manipulé plusieurs citations de l’archevêque de Hanoï pour lui faire dire qu’il regrettait de détenir un passeport vietnamien.

Des menaces

De quoi déclencher l’ire d’une large frange de la population, nationaliste. Même si les plus éduqués savent que la communauté est dans son bon droit, beaucoup croient encore à la propagande des médias officiels. Le secrétaire de l’archevêque reconnaît qu’il doit maintenant limiter ses déplacements. Il a reçu des menaces.

Comment corriger cette image dégradée ? « J’essaie de convaincre des amis proches en qui j’ai confiance, explique un étudiant, responsable d’un groupe de prière à Hanoï. Mais c’est très difficile de discuter avec des jeunes de familles traditionnellement communistes. Notamment avec les enfants de fonctionnaires qui pensent avoir la vérité et ne veulent rien remettre en cause. Ils bénéficient du système en place. »

La majorité des étudiants à l’université ne s’intéresse pas vraiment à ces questions politico-religieuses. Et ce jeune dirigeant d’association catholique hésite à parler librement à ses camarades. D’autant qu’il est suivi en permanence par la police…

Rémy FAVRE, à Hanoï